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fraîche date non-seulement laisse admirer « la longueur de ses tresses, » mais montre dans tout leur relief ses travers et ses imperfections. L’hypocrisie à coup sûr n’est pas son défaut. La vie des habitans s’y étale au grand jour comme dans les villes de l’ancienne Grèce; le mystère leur semble étranger, et si le sans-façon parfois débraillé de leurs allures scandalise quelque peu l’observateur, on est promptement ramené à l’indulgence par la comparaison de cette franchise trop insouciante peut-être, mais réelle, avec la raideur automatique et guindée du cant anglais. Mieux que tout autre, l’Américain de Californie va nous montrer ce peu de souci de l’opinion, l’un des traits les plus saillans qui distinguent entre elles les deux branches de la grande famille anglo-saxonne.

La ville de San-Francisco s’était créée en dehors de toute initiative gouvernementale. Peut-être le relâchement qui caractérisait à cette époque la direction des affaires de l’Union entrait-il pour quelque chose dans cette formation anormale, mais il fallait y voir surtout le résultat de la nature yankee aux prises avec des circonstances exceptionnelles, et l’on aurait tort de conclure de ces étranges débuts que la société californienne n’eût rien fait pour se constituer au double point de vue politique et administratif. Dès que la découverte de l’or eut déterminé le vaste courant d’immigration qui devait si promptement peupler le pays, la partie éclairée de la population sentit le besoin d’avoir, sinon de fait, au moins en principe, un gouvernement auquel on pût se rattacher plus tard, et qui dès lors lui permît de prendre rang dans l’état. Le moment était peu propice : chacun désertait les villes pour les placers, et pensait plutôt à s’enrichir qu’à doter ses concitoyens des institutions qui leur manquaient; aussi les quarante-huit députés nommés, parmi lesquels plusieurs Espagnols, ne finirent-ils par se réunir à Monterey qu’en septembre 1849. Bien que la composition plus que mélangée de la foule qui s’était ruée sur la Californie ne dût pas faire beaucoup compter sur les lumières de cette assemblée improvisée, le résultat fut sans aucun doute infiniment supérieur à ce qu’il eût été en Europe dans les mêmes conditions, et la constitution fut assise sur des bases libérales et rationnelles qui faisaient honneur au bon sens des délégués. C’est du reste aux États-Unis une tâche moins compliquée qu’on ne se la représente en France. Hérault de Séchelles, chargé de préparer un projet de constitution pour la France républicaine, priait sérieusement un de ses amis de lui envoyer les lois de Minos; l’Américain, fort heureusement pour lui, ne se croit pas tenu à dater d’aussi loin : il a ses modèles sous la main, et toute la question se réduit à savoir si le nouvel état sera ou non à esclaves. Sur ce point comme sur les autres, l’assemblée