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californienne opta pour une liberté illimitée, se bornant, par une restriction assez singulière, à exclure les races de couleur du suffrage universel qu’elle proclamait. Le principe du self-government était si complètement admis par elle, que le pouvoir judiciaire lui-même se vit assujetti aux caprices et aux instabilités d’une élection à courtes périodes. Un mois avait suffi pour mener à fin l’œuvre constitutionnelle; mais à Washington le congrès se montra moins expéditif, car l’admission du nouvel état remettait en litige l’éternelle question de l’esclavage et la lutte entre les intérêts rivaux du nord et du sud. Enfin, au bout d’une année d’incertitudes, le steamer l’Oregon entra tout pavoisé dans la baie de San-Francisco, annonçant aux habitans que leur ville était devenue capitale du trente et unième état de l’Union.

En même temps que la Californie se constituait politiquement, la partie la plus saine de sa population cherchait à poser les bases d’une organisation religieuse qui présentât quelque obstacle au débordement des passions humaines. Le clergé, dans le principe, ne s’aventurait qu’avec défiance dans cette société équivoque, dont au loin la renommée exagérait volontiers le cynisme et la démoralisation; mais son hésitation fut de courte durée, et bientôt les églises qui s’établirent de tous côtés témoignèrent d’autant plus du zèle efficace des fondateurs que le nombre de leurs prosélytes était plus restreint. La multiplicité de ces églises, ou, pour parler plus exactement, de ces chapelles, était une conséquence naturelle de la variété des sectes du protestantisme et de leur rivalité. On vit successivement s’ouvrir the Methodist Church, Seamen’s Bethel, Spring Valley Chapel, First Congregational Church, Unitarian Church, Wesleyan Chapel, First Baptist Church, Happy Valley Church, Grace Church, etc.; j’en passe, et des meilleures, car chaque secte, n’eùt-elle qu’une cinquantaine de fidèles, se doit à elle-même d’avoir une chapelle spéciale. De plus, un temple catholique s’élevait pour les Français et les Espagnols; mais tout ce pieux concours, si louable et bien intentionné qu’il fût, avait affaire à trop forte partie pour détourner le Californien de ses erremens. Tous les sermons du monde ne pouvaient donner à cette société l’essentiel et précieux élément qui lui manquait, la famille, et avec elle le charme du foyer. Aussi, malgré les vengeances célestes dont les prédicateurs dénonçaient énergiquement les effets à chaque incendie, la foule envahissait les maisons de jeu avec la même ardeur; les bars continuaient à verser à flots le brûlant poison de leurs liqueurs; les assassinats, les duels, les crimes et les violences de tout genre se reproduisaient journellement. Seule, la bienfaisante et douce influence de la femme devait combattre avec succès la rudesse, disons mieux, la barbarie de ces