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de lever de rideau précédant et annonçant le sombre drame du comité de vigilance.

L’émigration continuait en effet à apporter incessamment son impur et redoutable contingent de malfaiteurs, parmi lesquels se signalaient au premier rang nombre de convicts sortis, après l’expiration de leur peine, des établissemens pénitentiaires de l’Australie. Les pâles exploits des hounds furent en peu de temps dépassés, et le brigandage se doubla bientôt d’assassinats journaliers. Dans le confus assemblage de cette population, où souvent nul lien, nulle relation même, ne rattachaient la victime, je ne dirai pas à une famille, mais à un ami, sa disparition passait inaperçue, et l’impunité était alors d’autant plus assurée que personne ne se souciait, en faisant rechercher le meurtrier, d’attirer sur sa tête la vengeance d’une association dont la dangereuse solidarité n’était que trop notoire. Espérer quelque chose de la justice régulière eût été folie, et mieux eût valu sans nul doute n’en avoir aucune que de voir, comme on le faisait chaque jour, son impuissance et sa corruption démontrées par les simulacres de procédure auxquels se livraient les cours de San-Francisco[1]. Une affaire criminelle était une sorte de passe-temps d’une innocuité reconnue, et dont il dépendait de l’accusé de prolonger ou d’abréger à son gré les phases. Voulait-il échapper à toute poursuite (et je ne parle ici que pour le cas de forfaits d’un retentissement exceptionnel), il lui suffisait de s’absenter pendant une ou deux semaines; voulait-il au contraire goûter du far-niente de la prison, il connaissait au juste le tarif auquel le geôlier fixerait son évasion le jour où lui viendrait le besoin de respirer de nouveau l’air de la liberté. S’il préférait sortir de sa prison la tête haute, il savait qu’une simple caution lui suffisait pour cela, même la plus illusoire, même, le cas était fréquent, celle du complice de ses crimes. Enfin désirait-il aller jusqu’au bout et se donner les émotions de la cour d’assises, une ample expérience lui avait appris ce que coûtait la conscience du jury et le prix assez

  1. Il est juste de faire une exception pour un tribunal, civil à la vérité et non criminel, qui a longtemps joui à San-Francisco d’une réputation justifiée d’originalité. Le juge qui le constituait à lui seul exerçait une juridiction assez analogue à celle de nos juges de paix, et l’équité de ses décisions était universellement reconnue; mais le spectacle de ses audiences eût assurément fort diverti nos avocats européens. On y voyait ce singulier magistrat dans la position favorite des Américains, c’est-à-dire se balançant sur une chaise, les pieds appuyés au mur et plus hauts que la tête, imperturbablement occupé à se faire les ongles en poursuivant son interrogatoire. Une affaire ne durait guère plus d’un quart d’heure, car son honneur, avare de temps et peu soucieux d’éloquence, laissait rarement la parole aux défenseurs; il rendit toutefois de véritables services, surtout aux émigrans, dans leurs réclamations souvent fondées contre les fraudes de tout genre dont ils étaient l’objet de la part des capitaines de navires.