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tout genre que l’Américain sait tirer de l’esprit d’association, je n’en connais pas de plus dignes d’intérêt que ceux-ci, où se montre dans un relief inattendu le généreux exercice d’un christianisme pratique à la libéralité duquel il n’est jamais fait appel en vain.

On est heureux d’avoir à citer de pareils faits, qui montrent sous un jour nouveau l’état moral de la Californie, état qu’on apprécierait mal en ne l’étudiant que dans les journaux saint-franciscains par exemple. Il est difficile d’en donner une idée à qui n’est pas initié au ton général de la presse américaine. On connaît le gigantesque format des feuilles transatlantiques. Si nombreuses que soient les annonces, et bien qu’elles forment la base essentielle de cette publicité, elles ne peuvent tout couvrir, et laissent forcément une large place au rédacteur. Pour combler ce vide, rien en Californie n’échappe à la curiosité de sa plume : il n’est détails si intimes, affaire si privée qui ne lui semble soumise à sa juridiction. Vous vous croyez par votre position, par votre obscurité, par la tranquillité de vos habitudes, étranger à tout ce qui constitue la pâture de l’ogre : erreur, vous n’en êtes pas moins exposé à voir au premier jour, à propos d’un sujet quelconque, non pas vos initiales, mais votre nom imprimé en belles et bonnes lettres. Il serait inutile en revanche de rien attendre de sérieux de semblables publications, ni d’y chercher ces études consciencieuses et nourries qui donnent aux journaux européens une supériorité si justifiée. Une presse ne peut que se déconsidérer par ce système de licence absolue; c’est ce qui est arrivé à celle de San-Francisco, et l’abus de la publicité y a rendu son influence à peu de chose près nulle. Le lecteur ne voit dans son journal que l’indispensable moniteur du shipping intelligence; le reste est une sorte d’exercice acrobatique, destiné uniquement à occuper ses quarts d’heure de désœuvrement.

Il arrive parfois que des questions complètement étrangères au pays n’en ont pas moins le don de passionner au plus haut degré ces publicistes atrabilaires. La guerre de Crimée était de ce nombre, mais ici la violence avec laquelle on les voyait épouser la cause russe dans une lutte qui leur était en somme à peu près indifférente, cette violence n’était que l’écho fidèle du sentiment populaire. L’Américain en général a peu de sympathie pour les étrangers, c’est un fait reconnu; mais si à la rigueur on comprend chez lui une répugnance séculaire pour les représentans de la métropole dont il a subi l’exploitation, il est plus difficile d’expliquer comment nous, qui l’avons aidé à secouer ce joug, nous nous trouvons englobés dans la même aversion; il est surtout plus difficile de rendre compte des préférences immodérées que lui, représentant de la liberté en toutes choses, affichait pour une puissance dont les doc-