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nom de minstrels, ménestrels, et qui ressemblent assez à nos cafés chantans. San-Francisco en a plusieurs. Une douzaine de nègres factices, le visage barbouillé de suie, mais du reste scrupuleusement vêtus de noir et cravatés de blanc, y sont assis sur une estrade. Chacun d’eux est armé d’un instrument, violon, guitare ou tambour de basque, et la soirée se passe à entendre des chants populaires accompagnés de dialogues, qui souvent ne manquent pas d’une certaine originalité grotesque, le tout mêlé d’explosions assourdissantes annoncées par l’affiche sous le nom de full band (orchestre complet). Ce n’est pas cependant que le théâtre ne soit populaire à San-Francisco; dès 1847, on y avait vu s’ouvrir un cirque où les merveilles de la voltige étaient cotées à des prix qui auraient fait pâlir les plus aristocratiques de nos spectacles européens : les places les moins chères s’y payaient 3 dollars, une loge 300 francs, et la salle n’en était pas moins pleine chaque soir. Lorsque des scènes plus sérieuses vinrent à s’établir, bien que les frais s’y élevassent à près de 2 millions par an avec un matériel inférieur à celui de nos plus minces théâtres parisiens, l’exploitation en fut également heureuse, grâce en partie, il est vrai, à l’inventif arsenal où la faconde d’un directeur américain sait toujours trouver de quoi stimuler la curiosité de son public.

Nous venons de montrer la société californienne sous son point de vue le moins avantageux; mais qu’on ne se méprenne point sur l’intention qui a dicté ces pages. On aurait droit de s’étonner de voir dès aujourd’hui en Californie cette culture intellectuelle dont les délicatesses raffinées n’éclosent jamais que tardivement. Si, pour en signaler l’absence, il nous est arrivé d’exprimer notre opinion sous une forme peut-être trop sévère, c’est qu’il est assez difficile au voyageur de ne pas juger un pays en prenant involontairement pour terme de comparaison les souvenirs familiers du sol natal. Éloge ou blâme, tout à son insu se mesure plus ou moins sur cette base : les qualités qu’il admire le plus sont celles qui lui manquent, les défauts qui le frappent par-dessus tout sont ceux dont lui-même est exempt. Peut-être résulte-t-il de là un portrait dont les contours sont quelquefois exagérés; mais je dirais volontiers que l’ensemble y gagne comme vérité, car c’est en pareil cas l’original qui se plaint du défaut de ressemblance, et chacun sait que les meilleurs juges d’une société ne sont pas toujours les membres qui la composent. J’insiste sur ces réflexions pour éviter que l’on ne donne à certains traits de cette étude une interprétation défavorable qui n’est pas dans ma pensée. Il est fort de mode aujourd’hui de dénigrer les citoyens de l’Union, de railler leurs nombreux travers, et de montrer le revers de leurs institutions pour laisser à dessein dans l’om-