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bre ce qu’elles ont de véritablement noble et beau. S’il est très vrai qu’on peut ne pas aimer l’Américain, il est impossible en revanche de ne pas l’admirer, lorsqu’on voit ces utopies que nous discutons depuis tant d’années se traduire spontanément chez lui en merveilleuses réalisations pratiques du développement matériel le plus prodigieux qui fut jamais. Beaucoup de personnes malheureusement, sans chercher à nier ces résultats trop manifestes, n’en comprennent pas la portée, et méconnaissent les immortels principes qui les ont amenés. Dans les premières années de ce siècle, nombre de fort honnêtes gens, abusés tant par les déclamations de la presse officielle que par un sentiment excessif de rivalité nationale, vivaient dans la persuasion que l’Angleterre était sinon la terre classique du despotisme, au moins le siège de l’oligarchie la plus tyrannique qui se pût imaginer. Nous savons aujourd’hui à quoi nous en tenir à cet égard ; mais il serait bon que nous fussions également détrompés au sujet de l’Union, car le nombre est grand des prophètes pessimistes qui, flétrissant sa liberté du nom de licence, lui prédisent dans un avenir prochain la dissolution à laquelle ils condamnent doctoralement tout ennemi du principe d’autorité. L’Américain a le bon sens de se préoccuper peu de ce sinistre horoscope, et traite, il faut l’avouer, un peu du haut de sa grandeur l’opinion de ce qu’il est convenu d’appeler la vieille Europe; mais qu’importe après tout que ce grand corps vienne à se scinder? Qu’importe que nous ayons l’Union du nord et celle du sud, ou que nous en venions même à voir surgir sur le Pacifique une troisième république indépendante, dont San-Francisco sérail la glorieuse capitale? Les trois en resteront-elles moins fidèles au culte des idées qui ont fait jusqu’ici leur force? Liberté, association, tout le secret est dans ces deux mots, et s’il n’a pas été donné aux États-Unis d’atteindre une perfection que ne comporte pas notre nature bornée, au moins ont-ils eu l’honneur de pousser plus loin qu’aucun peuple la féconde expérience de laquelle dépendra la loi de l’avenir. Pour nous, qui nous épuisons en subtiles théories sur les relations du capital et du travail, mieux nous vaudrait étudier avec conscience et bonne foi la solution qui nous est offerte de l’autre côté de l’Atlantique que de déverser sur elle le ridicule et la raillerie. C’est ainsi qu’il faut envisager la Californie. On l’a montrée parvenant en dix ans à la plénitude de sa vitalité; elle n’a maintenant qu’à vivre pour grandir en quelque sorte invinciblement : vires acquirit cundo. Mais sans le principe de liberté, jamais ses énergiques colons n’eussent pu rêver cette fortune inouïe; sans l’esprit d’association, jamais ils n’eussent franchi les crises périlleuses qu’on vient de raconter.


ED. DU HAILLY.