Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/640

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

mais. C’est à peine si quelques esprits plus prévoyans osent aujourd’hui jeter un cri d’alarme au milieu de la confiance universelle.

La valeur morale d’un peuple peut en quelque sorte se mesurer aux efforts qu’il fait pour dompter la nature, et il est évident que les phénomènes météorologiques ont sur sa prospérité une influence d’autant moins considérable qu’il sait mieux les combattre et les dominer. En ce qui concerne les inondations, nous n’avons pu malheureusement parvenir encore à les maîtriser. Loin de là, en les voyant devenir de jour en jour plus fréquentes et plus désastreuses, on en est venu à se demander si les travaux de défense effectués sur divers points ne contribueraient pas à augmenter le danger, au lieu de l’écarter. Cependant, si les résultats obtenus sont à peu près illusoires, ce n’est pas faute de discussion. On ne saurait vraiment se faire une idée de tout ce qui a été dit et écrit sur cette question, sans que jusqu’à présent on ait fait un pas décisif vers une solution, et sans qu’aucun des divers moyens de préservation mis en avant ait pu encore s’asseoir solidement sur ce fond de sable mouvant qui chez nous constitue l’opinion publique. Digues longitudinales et digues transversales, puits absorbans et canaux de dérivation, réservoirs artificiels et fossés horizontaux, ont tour à tour été prônés et combattus. De ces différens remèdes néanmoins aucun n’a eu le privilége d’être plus vivement et plus souvent discuté que le reboisement des montagnes ; plus que tout autre, il a eu ses défenseurs convaincus et ses adversaires acharnés. Se présentant avec un caractère moins scientifique et moins hérissé de formules algébriques que la plupart des autres, il semblait permettre à chacun de prendre part au débat. À quelle conclusion ce débat nous amène-t-il ? C’est ce qu’il convient d’établir nettement dans l’attente d’éventualités dont le retour n’est que trop probable.

À entendre les uns, on ne saurait reboiser trop ni trop tôt. Le reboisement serait un remède à tous les maux : non-seulement il supprimerait à tout jamais les inondations, mais encore il devrait provoquer les pluies dans les pays secs, les diminuer dans les pays humides, protéger les uns et les autres contre l’effet des vents dangereux, équilibrer la température, régulariser les cours d’eau, supprimer les marais, assurer la salubrité, nous garantir contre les invasions étrangères, que sais-je encore ? Avec lui, plus d’inondations, plus de vignes gelées, plus d’épidémies, partout l’abondance et la prospérité. Suivant les autres au contraire, le reboisement serait plus encore qu’une amère déception : loin de diminuer les maux qu’il devrait combattre, il les aggraverait. Y a-t-il jamais eu plus d’inondations qu’à l’époque où la Gaule était couverte de bois ? Alors tous les fleuves ne gelaient-ils pas pendant l’hiver, et n’accusaient-