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pour s’en convaincre de parcourir les Alpes ni les Pyrénées : tout paysan sait que, pour consolider les rives du ruisseau qui traverse son champ, et empêcher le ravinement des talus du chemin, il suffit d’y planter quelques arbres. Tout le monde d’ailleurs connaît la force de cohésion que donne aux mottes de gazon l’enchevêtrement des racines de l’herbe : les forêts sont des gazons dont les brins d’herbe sont remplacés par des arbres, et dont les racines plongent dans le sol à une profondeur d’un mètre ou deux. Qu’on réfléchisse à la résistance qu’elles peuvent opposer aux affouillemens des eaux. D’après M. Brongniart, ces racines contribuent elles-mêmes à augmenter la pénétrabilité de certains terrains, en faisant en quelque sorte l’office d’un drainage perpendiculaire.

Là ne s’arrête pas l’action des forêts. Lorsque le sol est découvert, pour peu qu’il renferme une certaine proportion d’argile, après s’être humecté sur une profondeur qui, suivant M. Becquerel, ne dépasse pas six fois la hauteur de la tranche d’eau tombée, il se tasse naturellement, les pores s’obstruent par l’effet mécanique de la pluie qui le pétrit ; il agit alors comme s’il était imperméable, et livre à l’écoulement superficiel un volume d’eau considérable, qui ne peut plus être absorbé. Lorsqu’au contraire il est couvert de bois, le dôme de feuillage et l’humus qui recouvre la terre diminuent l’intensité de la pluie ; celle-ci n’arrive plus au sol que dans un état extrême de division, et ne peut dès lors y opérer ce tassement qui empêche l’absorption de s’effectuer. Enfin, par l’humus qu’elles produisent, les forêts augmentent l’hygroscopicité des différens terrains, et par suite la quantité d’eau dont ils peuvent s’imprégner. Cette hygroscopicité, qui est de 25 pour 100 du poids pour les terres sablonneuses, varie de 50 à 90 pour 100 pour les terres argileuses, et s’élève à 190 pour l’humus. C’est là un nouveau et considérable déchet que subit l’écoulement superficiel[1].

En résumé, pour une quantité donnée de pluie, les forêts tendent à augmenter la partie qui est absorbée au détriment de celle qui s’évapore ou qui s’écoule superficiellement ; de plus, elles ralentissent la marche de cette dernière. Il est bon toutefois de faire observer

  1. « On admet que la nappe d’eau produite par les plus forts orages n’a guère plus d’un décimètre d’épaisseur. Or la couche de terre des forêts bien peuplées, y compris l’humus, a sur de grandes surfaces une profondeur plus que décuple. Il n’y a pas de forêts, je ne parle pas des bois ruinés, épuisés, auxquels on donne à tort cette qualification, mais de terrains boisés, comme le sont les forêts de l’état et toutes les forêts communales des départemens de l’est, dont le sol n’ait une capacité d’imbibition supérieure au volume d’eau produit par les plus forts orages. C’est ainsi que s’explique ce fait, qu’après des pluies diluviennes les cours d’eau sortant des forêts bien peuplées ne subissent qu’une faible augmentation de volume, laquelle se soutient pendant assez longtemps, et que leur limpidité n’est pas troublée ou l’est très peu. » Des Inondations et des moyens de les prévenir, par M. Hun, conservateur des forêts.