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guerres qui ébranlent le continent ; il ne se décide à prendre les armes que lorsque son indépendance est menacée. Pourquoi l’esprit pacifique, si conforme aux intérêts de tous et aux conseils de l’Évangile, ne serait-il pas contagieux avec le temps ? Pourquoi cette paix, que vous croyez n’appartenir qu’au ciel, ne deviendrait-elle pas la loi de notre terre ? Dieu me garde de détourner vos regards de ce repos sans fin que le Père céleste promet à ses enfans ; mais sa volonté n’est-elle pas que les hommes s’aiment et s’entr’aident ? Or l’amour ne règne pas au milieu des ruines et des funérailles. Le temps où nous vivons a certainement plus de respect pour les droits de l’humanité que les âges sanguinaires qui nous ont précédés. Je crois, je veux croire que ce ne sera pas la dernière victoire de la justice et du bon sens. »

Éléonora prêtait à ces paroles une oreille bienveillante, et son âme, naturellement évangélique, était presque tentée de s’ouvrir à l’espérance. Malheureusement son cœur était brisé, et la vie finissait par reprendre à ses yeux une physionomie sinistre. Les beaux jours de l’été semblaient pourtant exercer sur elle une salutaire influence. Ce ciel rayonnant, cette nature parée, amenaient par momens sur ses lèvres un sourire fugitif. L’activité de tous, la vie fortifiante des champs, l’air pur de la montagne, semblaient répandre dans son âme un calme qui nous remplissait de confiance. Je profitais de ces heureuses dispositions pour lui proposer quelques promenades lointaines.

Quand on veut aller à Clarens sans s’éloigner du lac, on passe à quelque distance du principal village de la paroisse de Montreux. Nous nous arrêtions presque toujours à l’extrémité d’un large et pittoresque ravin, arrosé par un torrent qu’on appelle la baye de Montreux, où la vue est fort belle. Si l’on dirige ses regards du côté du lac, on aperçoit à droite Veytaux, caché comme un nid de colombes entre le mont Cau et le mont Sonchaud ; au-delà de Veytaux, Chillon enfonce dans les eaux ses murs massifs. À droite, le manoir quadrangulaire du Châtelard, aux murs épais, aux fenêtres étroites, se dresse isolé sur une colline. Quand on se retourne vers l’église de Montreux, on est étonné du peu d’espace qu’occupe le principal groupe de cette paroisse, formé par les maisons des Planches et du Châtelard, et dont le nom est connu dans toute l’Europe. Cachées dans les noyers épais et dans les peupliers de Virginie, ces maisons sont bâties entre deux mamelons dont l’un, qu’on nomme le Righi vaudois, porte un grand chalet en bois rouge. Derrière les habitations apparaît dans le lointain une montagne aux cimes déchirées, que l’hiver blanchit de neige et que l’été couvre d’une pâle verdure tachetée de quelques sapins.