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stérilisent et qui dévastent. Si les crues du Nil sont si bienfaisantes, c’est qu’elles reviennent périodiquement aux mêmes époques, alors que les pluies tropicales ont grossi les eaux divinisées du grand fleuve : elles règlent ainsi l’ordre des travaux agricoles, auxquels elles servent de base. Chez nous, les inondations se présentent à des époques irrégulières, et souvent quand les terres sont encore couvertes de moissons. Allez donc persuader aux paysans berrichons ou provençaux de se prosterner avec reconnaissance devant les eaux débordées de la Loire et du Rhône, qui viennent d’emporter le fruit de leur travail d’une année, et de couvrir leur maigre héritage d’un lit de gravier ! D’ailleurs le limon du Nil provient des montagnes du centre de l’Afrique, encore peu habitées, du moins on le présume, et dont la population doit peu se ressentir de la privation de cet élément fécondant ; mais chez nous en est-il de même ? Dépouiller nos montagnes du peu de terre végétale qui les recouvre encore pour fertiliser, à leurs dépens, quelques points privilégiés, ce n’est pas autre chose qu’augmenter la richesse des pays riches par l’appauvrissement des pays pauvres.

II.

Si, comme nous l’espérons, nous sommes parvenu à démontrer la nécessité de maintenir à l’état de forêts certaines parties du territoire, il ne reste plus qu’à déterminer l’étendue et la situation de celles dont le reboisement aurait été jugé utile et à discuter les moyens de l’effectuer le plus économiquement possible, en tenant compte de tous les intérêts engagés.

Quiconque a jeté les yeux sur la carte de France aura pu remarquer que la partie la plus montagneuse, celle qui donne naissance à presque tous nos fleuves et à leurs principaux affluens, est située au sud-est du pays, dont elle occupe environ 15,400,000 hectares, soit un peu plus du quart de la superficie totale. Elle serait limitée à peu près par une ligne brisée allant de Bayonne à Dijon et de Dijon à Genève, et comprendrait les vingt-six départemens situés au sud de cette ligne. La température de cette région, très élevée en été, y provoque souvent des sécheresses prolongées et parfois désastreuses, tandis que la présence des montagnes, arrêtant les vents humides de l’Océan et de la Méditerranée, y cause au printemps et en automne ces pluies diluviennes qui dévastent au lieu de féconder. Aussi presque tous les cours d’eau y sont-ils plus irréguliers et plus capricieux que partout ailleurs. Dire que cette portion du territoire se compose de la majeure partie des bassins du Rhône, de la Loire, de la Garonne, de la Durance et de leurs nombreux affluens,