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mens des Alpes, qui avant 1790 possédaient ensemble 400,000 âmes de population, n’en ont plus aujourd’hui que 280,000, à peine 22 habitans par 100 hectares, tandis que la Corse elle-même en a 27 ! La dépopulation d’ailleurs se manifeste bien avant cette époque, et marche en quelque sorte parallèlement avec les progrès des défrichemens. Un avocat à la cour impériale d’Aix, M. de Ribbe, dans un ouvrage récent[1], constate, en comparant les différens cadastres généraux, que depuis le XVe siècle jusqu’à la fin du XVIIIe, la Haute-Provence avait perdu la moitié de son sol cultivable. Les choses en sont arrivées à ce point que M. de Bouville, préfet des Basses-Alpes, dans un rapport adressé au ministre le 17 mars 1853, expose ainsi la déplorable situation de ce département : « Si des mesures promptes et énergiques ne sont pas prises, il est presque permis de préciser le moment où les Alpes françaises ne seront plus qu’un désert. La période de 1851 à 1856 amènera une nouvelle diminution dans le chiffre de la population. En 1862, le ministère constatera une nouvelle réduction, continuelle et progressive, dans le chiffre des hectares consacrés à la culture ; chaque année aggravera le mal, et dans un demi-siècle la France comptera des ruines de plus et un département de moins. » Nous avons vu déjà, par le dernier dénombrement, se réaliser la première partie de cette sinistre prédiction ; la laisserons-nous s’accomplir tout entière ?

Les épouvantables ravages des torrens expliquent trop bien des résultats aussi désastreux. Or, d’après M. Surell, dont l’ouvrage sur les Torrens des Hautes-Alpes est en quelque sorte devenu classique, les crues des torrens n’ont jamais lieu qu’à la suite des orages, ou de la fonte des neiges, qui en raison de la latitude se fait très rapidement dans les parties dénudées de ces montagnes. Ces masses liquides, s’écoulant avec violence sur des pentes friables, formées de lias, de grès verts et de mollasse, piétinées par des milliers de moutons et dépouillées de toute végétation, y affouillent le sol et en répandent les débris dans les plaines. M. Surell insiste sur un double fait bien remarquable : « Partout, dit-il, où il y a des torrens récens, il n’y a plus de forêts, et partout où l’on a déboisé le sol, des torrens récens se sont formés, en sorte que les mêmes gens qui ont vu tomber les forêts sur le penchant d’une montagne y ont vu apparaître incontinent une multitude de torrens. On peut appeler en témoignage toute la population de ce pays. » Encore quinze ans de discussions stériles, et la question du reboisement peut devenir le to be or not to be de nos départemens des Alpes.

  1. La Provence au point de vue des Torrens et des Inondations avant et après 1789.