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M. DE CHATEAUBRIAND
PUBLICISTE ET HOMME POLITIQUE

La Tribune moderne. — M. de Chateaubriand, sa Vie, ses Ecrits, son Influence littéraire et politique sur son temps, par M. Villemain.



Les grands hommes de notre temps ne se contentent guère d’un seul genre de gloire : le domaine de l’imagination ne suffit pas à tous les poètes, même quand ils y règnent en maîtres, et plus d’un ne semble consentir à charmer le monde qu’à la condition de le gouverner. Chateaubriand nous offre un remarquable exemple de cette double ambition. Il a cru avec raison à son génie littéraire, mais il a cru peut-être d’une foi plus vive encore à son génie politique, et si le choix lui eût été offert entre les deux renommées auxquelles il prétendait, on peut supposer qu’il aurait préféré le titre d’un grand homme d’état à celui du premier de nos écrivains. La postérité cependant ne semble pas disposée à ratifier ces rêves de l’amour-propre. Elle accorde aisément à Chateaubriand une place éminente dans notre histoire littéraire: elle lui fait honneur d’avoir dirigé le grand mouvement des esprits qui a signalé les premières années de notre siècle, d’avoir ouvert des voies nouvelles à la poésie, à la critique et à l’histoire; quant à sa vie politique, on la juge communément avec plus de sévérité que de faveur. On rappelle avec amertume certaines erreurs de sa conduite, ses téméraires ardeurs de 1815, son brusque revirement de 1824; on lui reproche d’avoir porté dans les affaires sérieuses la vanité, les caprices, les dégoûts que le public attribue trop souvent en privilège aux poètes; on fait le procès