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vateur. Chateaubriand, comme Mme de Staël, en resserrant entre l’auteur et la société des liens nouveaux de doctrines, d’émotions et de souvenirs, semblait entreprendre sur la direction de l’esprit public, que le gouvernement prétendait exercer sans partage. En demandant leurs inspirations non plus à quelques modèles vieillis, mais à la nature elle-même et aux sources des généreuses émotions, à la religion, à la gloire, à la liberté, en ramenant dans la littérature le culte de l’idéal, ils rendaient les intelligences au spiritualisme, qui avait déjà reconquis les consciences, et qui pouvait seul achever la transformation de la société, dans l’ordre politique, par le triomphe graduel du droit sur la force.

Ainsi expliquée, la vie de Chateaubriand sous l’empire est la préface naturelle du rôle politique qui lui était réservé sous la restauration. Avant d’avoir pris aucune part directe aux affaires publiques, il avait trouvé moyen de servir efficacement la cause dans laquelle il voyait intéressé l’avenir de la France, et la célébrité qu’il avait conquise fixait déjà l’attention sur lui comme sur un des principaux personnages de la monarchie future. C’étaient les lettres qui lui avaient offert un refuge contre l’oubli, c’étaient elles qui le désignaient d’avance à la politique et qui le préparaient à en soutenir les combats. Mais s’il descendait dans l’arène tout armé pour la lutte, ardent à l’attaque et déjà exercé à la résistance, assez entouré de gloire pour grouper aussitôt un parti à sa suite, assez fort de ses services passés pour s’élancer sans crainte au premier rang, pouvait-il se flatter cependant d’avoir en partage toutes les qualités de l’homme d’état? Avait-il pu acquérir, dans le monde un peu imaginaire où voltigeaient ses rêves de poète, cette fermeté de jugement et cette discipline d’esprit sans lesquelles on ne peut ni traiter sérieusement les affaires ni gouverner utilement les hommes? La liberté, que la chute de l’empire rendait à la France, allait lui permettre de donner la mesure de son mérite, et, il faut malheureusement le reconnaître, le premier usage qu’il en fit montra trop clairement que la fougue de la passion l’emporterait toujours en lui sur les conseils de la raison et de la sagesse. Sa foudroyante brochure De Buonaparte et des Bourbons, dont l’explosion signale son entrée dans la mêlée des partis, annonce tout de suite quelles seront les petitesses de son rôle, aussi bien qu’elle en laisse deviner les grandeurs. En voyant le ressentiment l’entraîner jusqu’à l’injure contre un pouvoir déchu, on peut prévoir toutes les violences auxquelles il se laissera emporter quand il se trouvera aux prises avec un adversaire qu’il voudra terrasser; on pressent qu’il ne ménagera pas ses coups, et que, n’étant pas toujours maître de lui-même, il frappera plus fort qu’il ne faut, et quelquefois même à côté de l’ennemi. En même temps on ne peut s’empêcher d’admirer l’in-