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et sans contrôle. Il croyait sincèrement à cette maxime de Bossuet, «qu’il n’y a point de droit contre le droit; » il ne reconnaissait à un chef d’état aucune puissance légitime ni contre la propriété, ni contre la famille, ni contre la religion, et certaines libertés politiques elles-mêmes lui semblaient u émaner de Dieu seul, qui livra l’homme à son franc arbitre, et ne mit point de conditions à la parole, en nous la donnant. » A ses yeux, un gouvernement n’avait pas seulement pour mission de réprimer les désordres matériels, mais surtout de faire respecter ces principes divins et sacrés, et la moindre atteinte qui leur était portée lui semblait le trouble le plus grave que l’ordre pût souffrir. La restitution du trône à l’héritier de Louis XVI n’était pour lui qu’un premier acte de justice et de réparation qui en appelait d’autres, et en voyant le droit héréditaire solennellement attesté par la restauration de la dynastie, il avait la confiance que tous les droits des citoyens, qu’il appelait les autres légitimités, seraient aussi reconnus et consacrés. Ses désirs furent exaucés par la proclamation de la charte.

Ce serait en effet méconnaître singulièrement la portée de la charte que d’y voir seulement l’organisation d’un système parlementaire, d’une chambre des pairs et d’une chambre des députés. Le principal bienfait de cette loi suprême était de garantir à tous les citoyens la liberté individuelle, la liberté des cultes, le respect inviolable de la propriété, le libre consentement de l’impôt, l’abolition de la confiscation et la certitude que nul ne serait distrait de ses juges naturels, d’assurer en un mot ces immuables principes de justice politique, qui ne sont point de ceux « qu’une rivière ou qu’une montagne borne, » mais qui sont la loi nécessaire de toute société civilisée. Les institutions que créait la charte, excellentes sans doute, mais plus variables de siècle en siècle ou de nation en nation, étaient destinées seulement à protéger le perpétuel exercice de ces libertés fondamentales.

Chateaubriand n’eut point de part à la rédaction de la charte, l’initiative en appartient sans réserve à la sagesse du roi Louis XVIII; mais il eut d’autant plus de mérite à s’y attacher qu’elle n’était point son œuvre, et l’on doit reconnaître qu’il y resta fidèle dans les années mêmes où il se laissa le plus emporter par les passions de la contre-révolution. L’ardeur qu’il déploya pour la défendre ne fut pas un des moindres services qu’il rendit à la cause de la monarchie constitutionnelle. La charte en effet était attaquée dès sa naissance, soit par les républicains comme Carnot, qui réclamaient des institutions plus démocratiques, soit par les derniers partisans de l’ancien régime, qui consentaient difficilement à voir le roi limiter l’exercice de sa propre souveraineté. Faire accepter la constitution nouvelle par les uns et par les autres, prouver que son avan-