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tour de lui, s’il avait eu vraiment les qualités d’un chef de parti, la parole spontanée qui dompte les foules et la persévérance qui ne se décourage devant aucun obstacle. Porté en triomphe dans les rues de Paris sur les bras de quelques jeunes gens, il fut impuissant à détourner la direction de leurs coups, et il ne fit plus qu’un seul acte d’homme public en prononçant à la chambre des pairs, avant de la quitter pour toujours, l’oraison funèbre de la monarchie qu’il avait tant contribué à restaurer, et qu’il n’avait plus maintenant le pouvoir de sauver.

Si le ressentiment d’une injure lui avait fait oublier pendant quelque temps les égards qu’il devait au trône, il en pleura du moins la ruine; sortant sans hésiter de la carrière politique en même temps que tombait la restauration, il garda à ses princes une fidélité qui est une part de sa gloire. « Il ne sera pas compté, dit avec raison M. Villemain, parmi ces hommes qui, sous des vents contraires, ont toujours conspiré avec la fortune et oublié leurs opinions, déserté leur cause, renié leurs amis pour la vanité de quelques honneurs ou la réalité de quelques profits. » Toutefois, dans la retraite même où il sut noblement s’ensevelir, il aurait pu montrer plus d’esprit de conduite et plus de fermeté de caractère, au lieu d’étaler avec complaisance le triste spectacle de son découragement, et de regarder sa tâche comme accomplie quand il avait fait un pèlerinage à Prague ou écrit quelques pages satiriques contre le gouvernement nouveau. Il semblait d’ailleurs rester fidèle à son drapeau par honneur plutôt que par croyance; on le voyait tendre la main avec un singulier empressement à Carrel et à Béranger, et flatter même les espérances des héritiers de cet empire qu’il avait si violemment attaqué. Toutes ces faiblesses ne pouvaient manquer de détruire peu à peu l’autorité qu’il avait exercée autrefois avec tant de prestige sur l’opinion, et la direction même du parti légitimiste ne tarda pas à lui échapper pour passer sans partage à l’illustre orateur qui restait ferme sur la brèche, et qui forçait déjà, par l’éclat de son éloquence, les applaudissemens de la chambre des députés.

Peut-on se flatter de porter un jugement équitable sur une vie où le mal est si souvent mêlé au bien, où chaque vertu éminente se trouve gâtée par quelque défaut de caractère, où l’œuvre même du génie semble à tout moment compromise par les soubresauts irréfléchis de la passion? Chateaubriand n’eut pas de plus persévérant ennemi que lui-même, et s’il a vu échouer la plupart de ses vœux ou de ses efforts, ce sont ses propres fautes qu’il a dû accuser. Il a aimé la liberté, et il l’a désirée avec ardeur ; quand il a vécu sous un pouvoir qui tentait avec sincérité d’en assurer l’exercice à la France, il n’a cessé de contrarier sa marche et de lui rendre le succès impossible. Il a dévoué sa vie à la monarchie ; il lui a fait