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toutes parts, suspects dans leurs opinions les plus modestes et dans leurs aspirations les plus simples, les esprits, aigris et déçus, se sont rejetés souvent dans un monde occulte, plein de visions et de chimères. Ne pouvant avoir l’Italie possible, ils ont rêvé une Italie impossible. La conspiration est devenue un art qui s’est perfectionné, et trop souvent des intelligences primitivement droites sont allées s’égarer dans des conceptions violentes. L’exaltation solitaire a livré plus d’une jeune tête aux fanatiques des sectes. C’est ainsi que les partis révolutionnaires se sont grossis en Italie.

Sans méconnaître le mal, on devrait le sonder sincèrement. Il est un mot dont on ne peut se servir qu’avec réserve dans les pays où l’instinct de nationalité souffre depuis longtemps, c’est ce mot de révolutionnaire, car il peut cacher bien des choses et même quelques-unes très honnêtes. J’ai toujours été frappé de quelques passages d’un petit livre écrit par M. Emilio Dandolo après 1848, — i Volontari ed i Bersaglieri lomlardi, — livre qui peut jeter un jour singulier sur l’état des esprits en Italie. L’auteur raconte la mort de Manara, dont il fut le compagnon au siège de Rome. « Après l’assurance du médecin que Manara n’avait plus que peu d’heures à vivre, dit-il, je m’inclinai vers son oreille et je lui dis : Pense au Seigneur ! — Oh ! j’y pense, et beaucoup, me répondit-il. — Alors je fis signe à un capucin qui s’approcha, et qui, après avoir reçu les signes de contrition du mourant, lui donna l’absolution. Manara voulut avoir le viatique, et je m’efforçai du mieux qu’il était possible de le préparer au grand passage. Une ineffable douceur m’entrait dans l’esprit en voyant ce pauvre et cher ami affronter si chrétiennement la mort. Après avoir communié, il resta quelque temps sans parler, puis il me recommanda de nouveau ses enfans : Elève-les, me dit-il, dans l’amour de la religion et de la patrie… » Est-ce bien là le signe d’un irrémédiable et dangereux esprit révolutionnaire ?

Ce que je veux dire, c’est qu’en Italie comme partout, plus que partout, il y a sans doute des passions de révolution, des fanatismes de secte, des violences factieuses, et il y a aussi un sentiment d’indépendance comprimé et refoulé qui jette les esprits ardens dans toutes les entreprises où ils croient retrouver une patrie, qui est une arme redoutable laissée aux mains des fanatiques, et qui vient en aide aux passions révolutionnaires elles-mêmes en leur donnant une vitalité et une force qu’elles n’auraient pas sans lui. Et cela est si vrai qu’en observant de près la péninsule, on peut voir dans les divers états le calme ou l’agitation se proportionner en quelque sorte au degré d’indépendance qui règne et se fait jour. Il y a quelques années seulement, l’un des plus petits états italiens, le duché de Parme, occupé par l’armée autrichienne, était dans