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rait en elle une alliée, si la Russie devait être l’alliée de quelqu’un.


D’où peuvent donc venir les complications ? On ne peut cacher ce qui éclate à tous les yeux ; elles ne pourraient venir que d’une intervention de la France en Italie dans des vues d’agrandissement propre. Alors la question change de face : l’Angleterre et la Prusse se rapprochent de l’Autriche, et ces neutralités expectantes deviennent des alliances actives ; mais la France peut-elle aller chercher des agrandissemens au-delà des Alpes ? La France a en Italie des intérêts d’influence, elle n’a pas d’intérêts de prépondérance. La politique de prépondérance, c’est la politique qui entraîna autrefois les rois de France à la poursuite d’une chimère ruineuse, qui fascina l’esprit de l’empereur Napoléon lui-même il y a plus d’un demi-siècle. Le comte Balbo raconte que le premier consul, après avoir organisé la France, voulut organiser l’Italie, et consulta quelques-uns des hommes les plus éminens de la péninsule, notamment M. Melzi. M. Melzi démontra la nécessite de créer un royaume de l’Italie du nord, et Napoléon ne contesta pas. M. Melzi chercha alors quelle maison de princes on pourrait mettre à Milan, et il nomma la maison de Savoie. Napoléon eut alors un sourire de mécontentement. « C’est le meilleur choix pour l’équilibre de l’Italie et de l’Europe, observa M. Melzi. — Qui vous parle d’équilibre.^ dit Napoléon. — Je comprends maintenant, reprit M. Melzi ; je me suis trompé : je devais parler de prépondérance. — C’est cela, vous y êtes, » ajouta le tout-puissant interlocuteur. Malheureusement la prépondérance française a fini par la prépondérance autrichienne.

Mais alors, dira-t-on, quelle est la politique de la France en Italie ? Si elle ne peut poursuivre aucun agrandissement pour elle-même, est-il de son intérêt de voir s’élever à ses portes, de l’autre côté des Alpes, une autre Prusse comptant dix millions d’hommes, et pouvant créer des embarras nouveaux ? Ces craintes ne sauraient, il me semble, limiter les sympathies de la France, justement parce que ses intérêts ne tiennent pas à des considération de territoire, parce qu’ils ne sont pas une question de prépondérance, mais d’influence. Sans accorder une valeur absolue aux théories modernes sur les races, il est un fait dont il faut tenir compte, c’est l’existence de toute cette race latine dont la France reste la tête après tout. Ce n’est pas seulement par la supériorité de ses forces, par sa position géographique, que la France a un ascendant sur le midi de l’Europe, c’est avant tout par ses idées. Tant qu’elle aura ses idées, elle n’a point à craindre une déchéance dans le monde, et elle n’a point à voir avec jalousie la constitution d’une Italie du nord. Elle