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est certaine, » chuchote l’autre ; il tient de l’ami de l’ami d’un amiral que l’ordre d’armer des transports a été envoyé à tous nos arsenaux. Puis ce sont les commérages de clubs et de salons, les commentaires sans fin sur une creuse sentence tombée des lèvres de quelque Polonius de la diplomatie étrangère et les sagaces disquisitions de tel profond observateur qui a pirouetté de groupe en groupe au dernier bal des Tuileries. Et l’on va ainsi s’égarant à la chasse des petits faits, s’ahurissant et s’abètissant au radotage des’informations de vingtième main. Que d’amis ont depuis un mois les amis de ceux qui sont censés savoir quelque chose ! Mais, puisque nous parlons des impressions publiques, constatons du moins deux faits consolans : d’un côté, l’opinion, si peu instruite qu’elle soit, s’est montrée pacifique dans son expression générale et non équivoque ; la France actuelle aime la paix, veut la paix, et ne s’associerait à la guerre que si la nécessité lui en était démontrée par une agression étrangère et par une question d’honneur. D’un autre côté, tous les personnages considérables que les grandes affaires mettent en rapport avec les sources des informations officielles s’accordent à dire que les ministres veulent la paix, croient à la paix, et s’impatientent presque des inquiétudes qu’on leur témoigne. Mais peut-être allons-nous tomber nous-mêmes dans le travers que nous signalions tout à l’heure, et encourir, comme le nouvelliste dont Théophraste traçait la caricature il y a quelques milliers d’années, le ridicule « de lire les événemens sur le visage de ceux qui gouvernent. »

Dérobons-nous à ces misères. Il faut sortir de cette incohérence d’idées qu’entretiennent la manie des nouvelles et le bourdonnement des bavardages puérils. Nous n’avons pas besoin d’autres informations officielles ou d’événemens nouveaux pour savoir qu’une grande question est en ce moment posée dans le monde, la question italienne. Nous n’avons besoin ni de renseignemens personnels, ni d’indications particulières, pour examiner cette question, et en elle-même, et dans ses rapports avec la France, au point de vue de l’Italie et au point de vue des intérêts et de l’honneur français. C’est dans cette étude seule, éclairée de la connaissance de l’Europe, que nous devons chercher la solution des doutes de l’opinion, et que des intelligences viriles peuvent trouver la confirmation des craintes ou des espérances dont la paix ou la guerre est aujourd’hui l’objet.

Le bon sens et la justice veulent que l’on se place d’abord au point de vue de l’Italie pour juger la question italienne et en examiner les conséquences européennes. En fait, qu’est-ce que l’Italie ? L’unité de race et de langue semble répondre que c’est une nation ; mais le morcellement de ce pays entre divers gouvernemens d’inégale importance semble donner raison au cruel et célèbre apophthegme de l’homme d’état qui a dit : « L’Italie est une expression géographique. » Y a-t-il du moins entre les divers petits états qui se partagent la péninsule quelque relation créée par un esprit et un intérêt communs que puissent revendiquer le génie et la nationalité de l’Italie ? Aon. La plupart de ces gouvernemens, survivans et légataires d’un ordre du choses antipathique aux tendances et aux besoins des sociétés modernes, sont de médiocres gouvernemens qui refusent de se réformer, et qui s’appuient, dans leur résistance aux vœux légitimes des populations, sur une influence