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mandite depuis quelques années dans l’Europe entière. Il serait imprudent d’oublier les pertes énormes qu’une guerre gratuitement hasardée ferait subir à cet argent français qui, sur la foi d’une paix durable, est allé construira ! ou exploiter des chemins de fer, non-seulement en Russie et en Espagne, mais en Autriche et en Italie. Ce grand mouvement industriel, indépendamment des intérêts français qui y sont engagés dans de vastes proportions, servait aussi plus sûrement, quoique plus lentement, qu’une lutte violente les intérêts d’unité et de rapprochement matériel destinés à préparer et à accélérer le travail de l’unité morale de l’Italie. Enfin les questions morales en France n’ont-elles pas aussi à redouter la terrible diversion de la guerre ? I’est-ce rien chez nous que le progrès des libertés publiques, et dans ce progrès accompli en France les peuples au nom desquels on veut nous exciter à la guerre, ne trouveraient-ils pas une plus sûre garantie de leur avancement que dans les chances hasardeuses des batailles ?

Nous n’aborderons pas toutes les questions extérieures que pourrait soulever une guerre d’Italie. Il nous répugnerait surtout d’évoquer le fantôme d’alliances hostiles à la France, car ces perspectives dont on pourrait nous menacer, même dans une guerre nécessaire et juste, ne devraient pas détourner la France du sévère et courageux accomplissement de son devoir. Sans doute, dans une guerre qui aurait pu être évitée, nous aurions à craindre l’effet de cette mauvaise humeur générale qu’inspirent à la société européenne, telle qu’elle est aujourd’hui organisée par l’industrie et le commerce, ceux qui troublent la paix générale. Après le triste exemple de l’empereur Nicolas, qui la méconnut, la brava, et finit par en être accablé, tous les gouvernemens en Europe sauront tenir compte, dans leurs différends, du verdict des opinions pacifiques qui est comme un infaillible présage de la victoire ou de la défaite. Cependant, si l’on se borne à la considération des intérêts extérieurs de la France, n’est-il pas visible que la question italienne, si importante qu’elle soit, est loin d’être l’unique ou même la principale de nos préoccupations, et doit subir dans notre politique étrangère le contre-poids et le contrôle d’autres questions considérables ? Sans nous éloigner de l’Autriche, nous pouvons voir avec quels graves intérêts la question italienne doit compter dans les prévisions de la politique française. Nous admettons que nos intérêts soient opposés à ceux de l’Autriche dans les affaires d’Italie ; mais l’Autriche n’est point seulement une puissance italienne. L’Autriche a sa raison d’être dans le système européen ; elle peut rendre à ce système des services dont la France a, suivant les circonstances, beaucoup à profiter. Du côté du Danube et en Orient par exemple, dans cette vaste région où la Russie, par les affinités de race et de religion, par la confusion de nationalités enchevêtrées et imparfaites, trouverait une voie si facilement ouverte vers Constantinople, l’Autriche, sorte de Turquie chrétienne, semble prédestinée à opposer aux empiétemens russes une infranchissable barrière. Nous-mêmes, n’avons-nous pas considéré comme un des résultats politiques les plus importans de la guerre d’Orient d’être parvenus à rompre la vieille intimité des cours de Vienne et de Pétersbourg, et d’avoir fait réaliser par le cabinet autrichien ce fameux exemple d’ingratitude que le prince de Schwarzenberg avait promis de donner