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peut-on pas dire autant de l’application du télégraphe électrique, des chemins de fer et de la marine à vapeur aux opérations militaires? Les ignorans comme les savans sont à même de comprendre l’effet que doivent avoir ces dernières découvertes, de donner à la direction et aux mouvemens des armées une rapidité et une précision inconnues jusqu’ici, et dont tous les peuples ne peuvent pas également profiter. Des entreprises de guerre regardées il y a peu d’années comme impraticables deviennent non-seulement possibles, mais faciles. L’imagination a libre carrière pour enfanter des combinaisons sans exemple, aussi sûres qu’inattendues, et de nature à renverser tout l’édifice de prévoyance élevé par l’expérience du passé pour la défense des empires. Déjà même ces nouveaux moyens commencent à avoir pour eux, du moins dans une certaine mesure, la sanction de l’expérience. Si les canons récemment inventés, dont on vante les prodigieux effets, en sont encore à faire leurs preuves sur le champ de bataille, les carabines ont fait les leurs en Afrique, à Rome, en Crimée et dans l’Inde, et il est hors de doute que l’une et l’autre de ces innovations exerceront désormais sur la composition des armées et sur leurs opérations une grande influence. Les chemins de fer ont montré à plusieurs reprises ce qu’on peut attendre d’eux pour la rapide concentration des troupes sur les points où leur présence est nécessaire. Et, pour mettre en un instant celui qui commande en communication avec ceux qui obéissent, le télégraphe à l’avenir sera un puissant et indispensable auxiliaire; à l’avenir le fil électrique suivra partout les armées, comme il a déjà suivi les faibles colonnes anglaises perdues au milieu de l’insurrection indienne : conquête précieuse à la civilisation, qui sur ce vaste théâtre a fait presque autant pour la victoire que l’héroïsme même des soldats, en liant les uns aux autres et en faisant coopérer au même résultat de petits corps dont les mouvemens isolés, ou mal combinés à cause des distances, eussent laissé aux masses ennemies tous leurs avantages.

Mais parmi tous les nouveaux moyens acquis de nos jours à l’art de la guerre, il n’en est pas, selon nous, de plus puissant, de plus fécond que le concours prêté aux armées de terre par les flottes à vapeur, et c’est sur ce concours, sur l’importance immense qu’il peut avoir, que nous voudrions arrêter ici nos réflexions et appeler l’attention du lecteur. Eût-on cru, il y a quarante ans, qu’il fût possible à une armée d’aller à l’improviste tomber sur le point du littoral européen le moins préparé à la recevoir, d’y porter des coups prompts et décisifs, ou bien de s’y maintenir, appuyée sur la mer et sur les ressources inépuisables qu’elle fournit, tenant ainsi en échec les forces de l’empire le plus puissant? Ce fait, si grand et si nouveau, on l’a vu se réaliser dans la guerre de Crimée, et le sou-