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Il a un goût particulier pour les brigands et les contrebandiers. Il a dû donner dans son temps de franches et rudes poignées de main, c’est un Froissard, plus brave et moins éloquent que celui du XVe siècle. On revient volontiers en sa compagnie sur des choses et des hommes si connus.

Jamais peut-être homme n’a obéi plus constamment que Byron au désir d’étonner le monde. Il avait de bonne heure pressenti dans le public cette admiration béate, aussi disposée à s’enthousiasmer pour les ridicules de ses favoris que pour leur génie. Sous prétexte de déconcerter la curiosité, Byron parada toute sa vie devant le monde, tout en le maudissant pour ses conventions et son hypocrisie. Il voulait frapper avant de plaire. M. Trelawny se prêta médiocrement dès l’abord à lui accorder cette niaise admiration ; il fit semblant de ne pas s’apercevoir des grands airs du poète. Un petit esprit lui en eût voulu de cette muette résistance. Byron trouva plus simple de déposer son air emprunté et de se montrer tel qu’il était. Au fond, il était extrêmement gauche et timide, et se jetait dans des conversations futiles pour gagner le temps de se remettre, comme les peureux qui sifflent la nuit en marchant dans les rues. Il était constamment préoccupé de l’effet qu’il produisait sur les autres. Je suis obligé de convenir qu’une telle préoccupation me semble touchante chez un grand homme. La vanité témoigne après tout d’une certaine humilité. Croire qu’on n’a jamais complètement gagné sa cause auprès de l’admiration de ses semblables, et faire ce qu’on peut pour la conquérir, c’est une coquetterie qui ne messied pas aux grands talens. L’orgueil tranquille décèle peut-être une nature plus forte, la vanité une nature plus fine et plus sensible. Byron avait beaucoup de vanité et de fierté, mais beaucoup moins d’orgueil qu’on n’en eût pu attendre d’un grand poète anglais et pair d’Angleterre. Il était né avec une âme qui frémissait au moindre contact. Ses premières poésies, publiées quand il avait dix-neuf ans, témoignent d’une sensibilité presque féminine ; elles ne respirent qu’amitié et tendresse. Personne n’était mieux fait que lui pour aimer, et personne n’était moins préparé que lui à l’isolement où il se trouva en entrant dans le monde.

Son début était plein d’humilité. Il demandait l’indulgence : on lui répondit par le sarcasme et l’insulte. Toutes les cordes de son âme vibrèrent au choc de cette injuste provocation. Il eut la colère inexorable du jeune Achille, et sa première satire fit de lui un grand poète et un homme malheureux. Il y jeta le gant à toute l’Angleterre. Il eut tort sans doute, car il eût pu le faire plus tard au nom d’un sentiment plus noble que la vanité blessée ; mais ce que je ne puis m’empêcher d’admirer dans Byron, c’est qu’une fois jeté sur ce