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quelle mesure est changé le rapport de ses forces avec les leurs.

Prenons d’abord la Prusse et l’Autriche. Rien de plus défavorable à cet égard que la condition de chacune de ces deux puissances. La Prusse dans la Baltique, l’Autriche sur la mer Adriatique, ont une étendue de côtes assez considérable pour prêter le flanc à des attaques comme celles que nous venons de décrire, et en même temps ni l’une ni l’autre n’ont une force maritime proportionnée à leur importance continentale. La Prusse et l’Autriche ont pu s’approprier nos nouvelles carabines, nos canons et tous nos perfectionnemens de détail, peut-être y ont-elles ajouté; mais elles n’ont et de longtemps elles ne sauraient avoir une marine et des marins qui les mettent en état de lutter à armes égales avec la France. On a vu quelquefois le génie d’un homme improviser une armée, jamais une marine; c’est une création qui doit être essentiellement l’œuvre du temps. Nous répétons donc que la Prusse ni l’Autriche ne sont à la veille de posséder ce grand et nouvel élément de la force militaire, quoique l’une et l’autre peut-être, en dépit des limites restreintes de leur littoral, entrevoient à cette heure la nécessité de compléter leurs puissantes armées par le développement aussi étendu que possible de leur force navale. En attendant qu’elles aient accompli cette œuvre, leurs côtes sont ouvertes à une invasion de la marine française, et il est manifeste que, sous cette menace redoutable, l’une comme l’autre, obligée de diviser ses forces, s’affaiblirait nécessairement sur tous les points, et s’exposerait à de graves chances de revers. Si on les suppose réunies et entraînant à leur suite tout le corps germanique, le cours des événemens peut être tout différent, et la supériorité du nombre compenser la faculté d’initiative; mais dans la première hypothèse que nous posions, celle d’une lutte corps à corps avec la France, en admettant des chances du reste égales, il nous paraît hors de doute que le poids de nos flottes, combinant leurs opérations avec celles de nos armées de terre et faisant sentir le contre-coup de leur puissance jusqu’à Vienne et à Berlin, rendrait notre supériorité irrésistible.

La Russie, qui, depuis son grand revers de Sébastopol, se construit avec activité une flotte à vapeur de guerre et de transport, ne tardera pas à cet égard à se trouver dans les mêmes conditions que la France. Ce qui nous est possible le sera aussi pour elle, et s’il arrivait que ses forces se combinassent avec les forces françaises, on n’entrevoit pas les limites de leur action en Europe. Que si au contraire la guerre éclatait entre les deux empires, les tentatives d’invasion maritime deviendraient des deux côtés ou impossibles ou au moins hasardeuses, jusqu’au jour où un conflit décisif aurait donné à l’un ou à l’autre des deux rivaux la libre possession