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d’uniformité assez semblable à celle qui existe entre les grandes armées du continent, dans lesquelles le génie particulier de chaque peuple va s’effaçant tous les jours devant la perfection des moyens mécaniques.

Pourvus également de carabines à longue portée, instruits et exercés avec le même soin, un bataillon français, un bataillon russe ou autrichien, se ressemblent beaucoup aujourd’hui, surtout là où l’on agit par masses, et où l’intelligence et les qualités individuelles du soldat disparaissent dans l’ensemble des combinaisons. Si je ne me trompe, les vaisseaux à vapeur anglais, français ou russes, auront avant peu la même ressemblance. Les bâtimens, les machines, l’artillerie, tout le matériel enfin sera sur les plans les plus perfectionnés, sur les mêmes peut-être, car le secret des inventions et des perfectionnemens, s’il se garde encore, ne se garde plus pour longtemps. La machine sera conduite par des mécaniciens habiles, tels que l’emploi général des appareils à vapeur les forme en grand nombre et par tous pays, et ceux-ci, à l’abri du boulet dans leur machine, manœuvreront le vaisseau à la voix du chef avec un sang-froid que rien ne troublera. Quant à l’équipage, il se composera d’officiers choisis, instruits et formés à la longue, de pointeurs et de tirailleurs marins exercés avec soin, d’un nombre restreint, mais suffisant, de matelots proprement dits, et enfin de jeunes gens vigoureux, braves et disciplinés pour la manœuvre des canons. Sans doute, l’avantage sera grand pour qui pourra, comme l’amirauté britannique, former des équipages tout entiers d’hommes de mer expérimentés; mais le jour du combat, cette supériorité serait beaucoup moindre que par le passé. Il faut considérer d’ailleurs que la marine à vapeur permet de faire les arméniens avec une promptitude inconnue au temps de la marine à voiles, et de là pour les nations maritimes la nécessité de modifier les institutions sur lesquelles repose leur force navale, de manière à leur faire produire avant tout les plus rapides résultats. L’Angleterre, grâce à son immense commerce, dispose d’un nombre de matelots supérieur à celui d’aucune autre marine; mais ces matelots sont dispersés sur sa flotte marchande, et si elle devait les attendre pour armer sa flotte de guerre, elle serait exposée à être surprise sans défense. Les coups seront aujourd’hui trop prompts et trop décisifs pour qu’on puisse donner le même temps que jadis à former des équipages. Si les puissances continentales en arrivent à armer leurs flottes militairement et du jour au lendemain, il faudra bien que l’Angleterre les suive dans cette voie. Malgré le respect qu’elle conserve pour toutes ses vieilles traditions, il est impossible qu’elle n’en vienne pas à recruter ses équipages selon le système employé sur le continent. Déjà même on peut dire