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qu’elle est sortie de ses anciennes voies, soit par l’extension continuelle et forcée qu’elle donne à son corps de soldats de marine, soit par l’essai d’institutions analogues à notre inscription maritime, qu’elle tente sous les noms de coast volunteers et de continuons service men.

Aujourd’hui enfin que la vapeur ne subordonne plus au vent tous les mouvemens des navires, le mode de combat à pratiquer sur mer, la tactique navale, pour l’appeler par son nom, n’est plus que de la tactique militaire, comme l’a fort bien démontré sir Howard Douglas dans son récent ouvrage, et il est évident que Français, Anglais et Russes sont également aptes à en appliquer les principes. Ainsi que dans les batailles de terre, toute la question reviendra à être le plus fort et le plus nombreux sur un point donné, à un moment donné, et pour atteindre ce but, l’emploi de la vapeur, avec la célérité et la précision de mouvemens qu’elle assure, procurera des facilités jusqu’ici inconnues. Aussi, pour conserver la supériorité navale nécessaire à sa sécurité, l’Angleterre ne se fie-t-elle plus tant à la qualité qu’à la quantité de son personnel, et nous la voyons occupée à se créer une force permanente (channel fleet) capable de fournir instantanément les cadres d’une grande armée navale, tout comme les puissances continentales sont obligées d’entretenir en temps de paix les cadres de leurs armées de terre. Elle ne veut pas se laisser surprendre, et elle emploie en même temps ses grandes ressources financières à se garder pour le matériel une supériorité numérique qui lui est plus que jamais indispensable. Ajoutons que par les tendances de sa politique extérieure l’Angleterre se rapproche de celles des puissances du continent qui ont de grandes armées sans marine, tant elle a le sentiment de l’importance capitale qui s’attache aujourd’hui à l’union des forces de terre et de mer. Si ces puissances lui donnent ce qui lui manque, le concours de nombreux bataillons, elle, de son côté, leur prête la redoutable assistance de ses vaisseaux, et cette alliance peut remporter sur terre des avantages tels qu’ils fassent avorter l’entreprise maritime la mieux combinée contre elle. Mais malgré le sens si droit et si pratique, malgré le courage si résolu avec lequel le peuple anglais se prépare à un avenir dont les chances sont nouvelles pour tout le monde, il ne s’aveugle point sur les périls qu’il ne courait pas il y a cinquante ans, et qu’il peut courir aujourd’hui. Sa presse et ses meetings l’avertissent chaque jour de ne pas s’endormir sur la foi de ses anciens triomphes.

On nous ferait une grande injustice si l’on supposait ici dans nos observations un sentiment hostile à l’Angleterre. Nous faisons naturellement passer avant tout l’honneur et l’intérêt de la France,