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terrains caractérisés par les mêmes fossiles. Nous ignorons si les subdivisions de terrains constatées en Europe se continuent dans toutes les contrées lointaines. Existe-t-il dix ou cent espèces communes entre deux étages consécutifs? Faut-il partager l’écorce du globe en seize, vingt ou vingt-six étages? Ces questions ne sont pas encore définitivement résolues; mais ce qui semble certain, c’est que les diverses périodes géologiques ont été caractérisées par des animaux et des végétaux particuliers. Voilà une idée qui reçoit chaque jour des confirmations. Elle a changé la face de la géologie; autrefois on distinguait les terrains d’après les caractères physiques, aujourd’hui on les classe d’après leurs fossiles. Sans doute la gloire première de cette idée appartient à Cuvier et à Brongniart; en France, en Allemagne, surtout en Angleterre, plusieurs géologues l’ont développée : aucun cependant n’a plus que d’Orbigny combattu pour elle, aucun n’a cherché davantage à la propager.

Des naturalistes attachés à la croyance que les êtres vivans et fossiles sont le produit d’une seule création ont imaginé la théorie suivante pour expliquer la présence de fossiles spéciaux dans chaque étage. « Les êtres n’ont pas tous vécu à la fois sur le même lieu ; pendant le cours des âges passés, ils ont peu à peu changé de place; après qu’une troupe d’êtres a longtemps habité un pays, une autre troupe venue de parages éloignés lui a succédé. C’est pourquoi sur le même point du globe il y a eu plusieurs époques caractérisées par des fossiles spéciaux. « Cette théorie, que l’on pourrait appeler théorie des migrations, est ingénieuse; mais elle s’accorde difficilement avec les observations des géologues. Dans aucune contrée, on n’a encore rencontré à l’état vivant les animaux de la période de transition, ou même de la période secondaire. Il est vrai que l’on peut répondre: Ces espèces d’animaux sont éteintes; mais que répondre si l’on renverse la proposition et si l’on dit : Dans tous les pays connus, les terrains anciens et même les terrains secondaires ne renferment aucun des animaux actuellement vivans? Il faut nécessairement conclure que ceux-ci ont apparu plus tard. Ainsi la théorie des migrations n’explique point les différences des grandes époques géologiques; on ne peut soutenir que l’apparition des êtres du plus ancien terrain sédimentaire (le terrain silurien) ait eu lieu en même temps que celle des animaux actuels. Dans des limites étroites, la théorie des migrations s’est trouvée d’accord avec l’observation des faits. M. Barrande, dans ses beaux travaux sur la Bohême, a expliqué par des changemens d’habitats la position de certaines couches de fossiles. La théorie de ce savant observateur est connue dans le monde des géologues sous le nom de théorie des colonies.

On a recours à une seconde hypothèse, celle des transformations,