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Byron de l’infatuation du cœur. À voir ce visage enfantin et rougissant comme celui d’une jeune fille, ces grands yeux limpides et rêveurs, ce corps frêle enfermé dans une veste noire trop étroite, il n’était point aisé de reconnaître au premier abord l’homme en guerre ouverte avec toute la société et avec toutes les idées de l’Angleterre. Cette nature si délicate en apparence, si vigoureuse en réalité, allait exercer cependant sur la nature plus souple de Byron une influence puissante, qui devait aussi plus tard dominer la poésie contemporaine de l’Angleterre.

Né en 1792, quatre ans après Byron, Shelley n’avait pas eu de jeunesse. Il vécut et mourut isolé. Comme tous les esprits absolus, il commença par repousser avant de dominer. Il appartenait à une famille ancienne et considérée, et devait être un jour baronet d’Angleterre. On le mit au collège d’Eton ; mais la liberté presque excessive des écoles anglaises était encore une contrainte pour cette âme aventureuse. Au lieu de suivre les cours, il travaillait solitairement, ne frayait point avec ses camarades, dont il était détesté, et s’enfermait des journées entières dans un laboratoire de chimie, où il faillit un jour sauter avec tous ses appareils. Il passa de l’enfance à la jeunesse, d’Eton à Oxford, sans assouplirent aucune façon cette humeur indépendante. Il avait seize ans quand il publia le livre qu’il avait intitulé modestement la Nécessité de l’athéisme. Ce fut un scandale inouï dans la docte université. Sans se laisser troubler par l’orage qui gronde sur sa tête, Shelley adresse poliment son ouvrage à tous les évêques d’Angleterre, et quand il est appelé pour être censuré auprès des chefs de University Collège, il leur propose tranquillement d’argumenter contre eux en faveur de sa thèse. On ne pouvait guère espérer de ramener un esprit de cette trempe. L’exclusion fut prononcée, et de ce jour commença pour Shelley une vie errante qui ne devait se terminer qu’avec la mort. On se demande avec un étonnement douloureux quelles sont les bornes de la présomption humaine, si un écolier de seize ans peut se figurer de bonne foi qu’il a résolu à lui seul le problème de notre destinée. La même audace réfléchie l’entraîna bientôt dans les liens d’un mariage inégal, à la suite duquel il fut renié par tous les siens et déshérité par son père. Puis le scandale vint s’ajouter au scandale. Une union si imprudente (les époux avaient à eux deux trente-deux ans) devait avoir les conséquences les plus malheureuses. Shelley se sépara violemment de sa femme, qui mourut plus tard de douleur dans son abandon. Cette âme errante ne pouvait cependant rester sans attache ici-bas. Un nouveau mariage l’unit à miss Mary Wolstoncraft Godwin, fille d’un père et d’une mère également célèbres dans la littérature de leur pays. Il fallut cependant de pressantes