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celle-ci fut provoquée par une personne grandie dans l’ombre et devenue tout à coup assez forte pour lui faire expier par un exil sans retour des mépris aussi imprudens qu’ils étaient cependant légitimes.

Après les malheurs domestiques qui avaient frappé Louis XV de 1765 à 1767, une heure d’hésitation avait été signalée dans sa vie. Le dernier écho des enseignemens de sa jeunesse avait retenti dans un cœur que la foi disputait au libertinage. L’on put croire un moment qu’un ange passé des pompes de la cour aux volontaires austérités du Carmel relèverait par son sacrifice l’âme d’un père demeuré, malgré tant de torts, l’objet de ses plus ardentes tendresses; mais le doute fut court et l’interrègne bientôt terminé, tant il y avait d’intérêts inquiétés par une semblable perspective de conversion, tant il se fit d’efforts pour fermer devant un roi bientôt sexagénaire la porte du repentir et pour lui rouvrir celle des voluptés!

Pendant que mille intrigues se croisaient à la cour, où la faction Richelieu commençait à s’organiser en face de la faction Choiseul, tandis que de nobles dames laissaient trop comprendre qu’un vieux prince n’adresserait pas un appel inutile à leur jeunesse et à leur beauté, une provinciale aux mœurs libres, aux antécédens obscurs, entrait dans la couche du monarque, dont elle réveillait les sens en dépouillant l’amour des derniers voiles de la pudeur.


II.

Marie-Jeanne Vaubernier, plus connue sous le nom de Mlle Lange, était fille d’un pauvre employé des fermes de Lorraine. Venue à Paris à la suite d’un parent pour y chercher quelques ressources, elle avait vécu d’abord du produit de son travail dans un magasin de modes; puis elle s’était procuré, dans une maison de la haute finance, l’une de ces situations intermédiaires qui, en élevant le niveau des habitudes et celui de l’esprit, suscitent tous les besoins et provoquent toutes les souffrances. Engagée bientôt après avec les deux frères Du Barry dans une liaison simultanée ou successive, elle vécut comme eux des ressources que le jeu et l’audace garantissent presque toujours dans les grandes capitales à des hommes spirituels et dissolus. Supérieure par certains instincts au monde de bohème dans lequel l’avait jetée le malheur de sa condition, elle était très propre au rôle qu’avait préparé pour elle l’odieuse industrie de son amant, sans qu’il soupçonnât d’abord plus qu’elle-même quels en seraient l’éclat et l’importance. Devenue comtesse Du Barry après ses premiers rapports avec le roi. Mme Vaubernier possédait à vingt-quatre ans, avec une beauté éclatante, un esprit