Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/865

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus original que celui de Mme de Pompadour, parce qu’il avait été moins façonné par la culture. Son animation allait jusqu’à la pétulance sans tomber toutefois dans la grossièreté. Douée d’un caractère résolu et d’un assez grand fonds de bonté naturelle, elle n’était, à tout prendre, guère inférieure ni en naissance, ni en principes, ni en qualités, à la fille d’une femme galante et d’un banqueroutier, et lorsqu’elle se trouva investie d’un rôle politique auquel elle n’avait jamais songé, elle joua jusqu’au bout sa partie avec une audace et un entrain qui auraient manqué certainement à la marquise.

M. de Choiseul avait commis la faute de traiter comme la fantaisie d’un jour une liaison dont l’œil plus exercé du duc de Richelieu avait pénétré tout d’abord la puissance et la durée. Le ministre dédaigna Mme Du Barry, et alla jusqu’à douter qu’elle pût jamais franchir le pas décisif d’une présentation à la cour. C’était juger trop favorablement un temps qu’il lui appartenait de mieux connaître. La nouvelle favorite ne tarda pas à trouver de hautes patronnesses, empressées de couvrir sous les dehors d’un respect aveugle pour le choix du monarque une complaisance dont chacun avait mesuré le prix. Dans la soirée fameuse du 22 avril 1769, Mme Du Barry franchit la barrière par laquelle l’étiquette s’était efforcée d’arrêter le despotisme, et en présence de cette révolution solennellement accomplie, la plupart des insulteurs de la veille devinrent les idolâtres du lendemain. La beauté de la comtesse fut déclarée irrésistible, formule commode pour cacher la bassesse sous les dehors de l’admiration. Mme Du Barry eut donc une cour, et on la vit, non sans surprise, déployer au sein d’une opulence et d’une grandeur si nouvelles une bonhomie spirituelle et une gaieté de bon aloi qui, par leur nouveauté même, firent diversion dans la vie monotone d’un libertin blasé. Guidée par Richelieu comme une odalisque débutante par le chef du sérail, Mme Du Barry sut assurer à ses amis et à elle-même tous les profits de cette grande victoire.

Toutes les épreuves auxquelles le ministre avait attendu la favorite tournaient donc contre lui, car Louis XV n’en était pas à s’inquiéter des révélations qui lui arrivaient de toutes parts sur la vie antérieure d’une femme assez experte pour cacher sous une sorte de naïveté presque enfantine la dévorante expérience de la débauche. L’hostilité devint chaque jour plus vive entre la maîtresse et le duc, ainsi trompé dans tous ses calculs. La violence avec laquelle Choiseul poursuivait Mme Du Barry s’expliquait si peu, soit par ses principes, soit par sa prudence ordinaire, elle contrastait d’ailleurs d’une manière tellement sensible avec sa longue et respectueuse déférence pour Mme de Pompadour, qu’on dut l’attribuer à une déception personnelle qui l’atteignait dans ses plus chères affections.