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C’était d’abord Maupeou appelé à la chancellerie par M. de Choiseul, qu’il n’abandonna qu’aux premières défaveurs du sort. Ancien premier président du parlement de Paris, le chancelier rendait en dédain à sa compagnie la haine qu’elle paraissait lui porter. Si dans les temps de faction il fallait prendre au pied de la lettre les appréciations réputées les plus sincères, Maupeou aurait été un magistrat sans lumière, sans pudeur, presque sans probité, et son ignorance n’aurait été dépassée que par ses vices. Pour la postérité, qui le juge sur les actes accomplis, ce fut un homme d’un esprit prompt et d’un caractère ferme, ayant le goût et le courage des aventures, aussi maître de lui dans la lutte que dans le conseil, et sachant porter légèrement son secret sous les dehors d’une trivialité poussée souvent jusqu’au cynisme; personnage original s’il en fut, qui osa risquer sa tête pour une idée en faisant de celle-ci le marche-pied de sa fortune, et qui, par des mesures admirablement concertées, obtint le seul succès qu’il soit donné de conquérir sur la liberté, celui de retarder son triomphe.

L’abbé Terray avait, comme le chancelier Maupeou, le goût des grands partis et des exécutions violentes. Ancien conseiller-clerc au parlement, il s’était séparé de son corps chaque fois que celui-ci s’était trouvé en lutte avec l’autorité ministérielle. Des connaissances financières constatées par des travaux spéciaux, une intarissable fécondité de voies et de moyens avaient appelé sur lui l’attention de M. de Choiseul dans un moment où les approches d’une guerre contre l’Angleterre donnaient une si haute importance au contrôle général. De mœurs impures et d’habitudes extérieures qui formaient avec celles-ci le plus piquant contraste, Terray avait été le but habituel des plaisanteries de sa compagnie et des censures de son ordre; aussi s’était-il cuirassé l’amour-propre et le cœur. Nommé contrôleur-général en 1769, il avait souri en présence de difficultés contre lesquelles avait successivement échoué l’honnêteté de Laverdy, de Bertin et de Manon d’Invau. C’était avec une confiance ironique qu’il avait promis au roi, à son ministre et à sa maîtresse, de faire face à toutes les dépenses en triomphant de toutes les plaintes. L’abbé Terray se mit donc à l’œuvre sans retard, appliquant au maniement des finances le plus simple des procédés, celui de la banqueroute : rentes de l’Hôtel de Ville, rentes viagères et perpétuelles, actions des compagnies ou des tontines passèrent tour à tour de 1769 à 1774 sous le tranchant de ses édits et de son arithmétique expéditive, et le trésor se trouva soulagé comme l’est tout homme assez osé pour nier ses dettes et assez bien armé pour fermer la bouche à ses créanciers. C’est l’honneur des mœurs formées depuis soixante ans car nos institutions nouvelles que nous puissions