Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 19.djvu/896

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

devenaient-elles profitables qu’au moment des crises les plus douloureuses, et les exportations qu’aux époques d’avilissement profond dans le prix des céréales. C’est que des taxes de douane qui seraient insignifiantes pour toute marchandise de luxe sont onéreuses pour les grains, et se changent facilement en véritables prohibitions. En outre, ces taxes ont été surtout embarrassantes par leur mobilité. Propices un jour au commerce, elle pouvaient être rendues prohibitives le lendemain par une simple oscillation du marché intérieur. De telles variations du tarif expliquent seules ces mouvemens si brusques dans les chiffres des exportations d’une année à l’autre. Ainsi en 1832 l’importation s’est élevée à 94 millions; l’année suivante, elle est tombée à 4 millions; en 1846, elle a été de 69 millions : elle a monté à 231 millions en 1847 pour s’abaisser à 26 millions en 1848. Ce sont de véritables sautes de vents, pour employer l’expression maritime qui peut seule rendre compte de ces étranges désordres. Soumis à des lois pareilles, le commerce des grains était fort exposé à devenir de l’agiotage.

Bien que la réexportation et le transit soient régis par un autre tarif, ils se sont néanmoins ressentis de l’échelle mobile. C’est que ce commerce d’entrepôt et de transit ne saurait être séparé du commerce avec l’intérieur. Les négocians ne peuvent se livrer avantageusement à une telle spéculation sans avoir pleine franchise de vente et d’achat sur le marché intérieur, qui leur sert dès lors de réservoir alimentaire. Ils y puisent lorsque les arrivages sont insuffisans pour la réexportation, ils y déversent au contraire leur trop-plein de blés étrangers lorsque l’écoulement vers l’extérieur se ralentit. La franchise, en facilitant cette double manœuvre, a fait la fortune du marché anglais, le profit de la marine et la prospérité du commerce de cette nation. Qu’il en soit ainsi pour nous!

La valeur excessive que les importations ont parfois atteinte chez nous ne serait nullement regrettable, si elle eût été contre-balancée par une exportation aussi active. Malheureusement il n’en a pas été ainsi. Cette différence d’ailleurs a moins tenu au manque de récoltes qu’aux difficultés de transport. Nous n’avons jamais eu beaucoup de canaux ; la navigation de nos fleuves n’a reçu que de tardives améliorations, nos routes sont loin d’être achevées, surtout nos chemins vicinaux ; c’est d’hier à peine que notre réseau de chemins de fer est dessiné sur le sol. Aussi une fraction importante des récoltes ne pouvait-elle être utilisée, et restait-elle sur le lieu même de la production sans pouvoir arriver à la consommation, soit intérieure, soit extérieure. Un tel état de choses, qui maintenait dans une situation de gêne déplorable des provinces entières, surtout celles du centre, était loin certainement d’encourager la production. Voilà la première cause de la marche si lente de nos progrès agricoles.