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où la culture en est rendue nécessaire par l’impuissance de nos moyens de transport. Cette disparition, qui s’est déjà opérée dans quelques parties du nord et de l’ouest de la France, a fait croire à certaines personnes que le climat de notre pays se modifiait et que notre soleil devenait moins chaud. Qu’elles se rassurent: la chaleur ne fuit pas; les chemins de fer arrivent. La qualité des vins réclame aussi certains progrès. Les petits propriétaires surtout doivent s’efforcer de rendre leurs caves égales en renom, sinon en capacité, à celles des grands propriétaires dont les clos ont acquis une juste renommée. Le bon vin a surtout été jusqu’ici un produit aristocratique, et l’on doit remarquer que les grands propriétaires ont soigné leurs vignobles bien avant qu’ils aient songé à s’occuper avec la même sollicitude de leurs domaines arables.

Si la production peut s’accroître, les débouchés doivent également se multiplier. Lors même que les charges qui grèvent la vente du vin resteraient aussi lourdes, l’usage de cette boisson ne s’en répandra pas moins, par ce fait seul que l’aisance s’introduit parmi les classes laborieuses, dans tous les pays industrieux et actifs. Cet accroissement, amené par la prospérité des états consommateurs, sera rendu facile par l’amélioration des moyens de transports intérieurs autant en France qu’à l’étranger. Notre principal port d’expédition, Bordeaux, avait à la vérité pour s’approvisionner deux fleuves et le plus ancien canal de France; mais, par le mauvais état des routes, les vignobles qui n’étaient pas limitrophes des voies d’eau ne pouvaient qu’expédier difficilement leurs produits, sinon les frais de roulage augmentaient considérablement les prix de revient. Bordeaux, grâce aux chemins de fer qui vont couvrir le midi, prendra désormais une tout autre puissance d’exportation, et deviendra un port agricole des plus prospères.

Les autres pays producteurs, l’Espagne, l’Italie, ne font qu’une exportation très faible relativement à la nôtre. Leur circulation intérieure est encore plus imparfaite, et leurs relations commerciales sont moins étendues. Du reste, beaucoup de leurs ventes s’opèrent par l’intermédiaire des négocians français, et nous avons ainsi à peu près le monopole du commerce extérieur des vins. Ce monopole nous vaudra par ses avantages celui de la production du coton, que possèdent les Américains, celui de la houille et des métaux, qui appartient aux Anglais. Ces deux branches de commerce semblent avoir acquis dans chacun de ces pays tout le développement possible, s’ils ne touchent pas déjà au moment suprême où les sources de production commencent à se tarir par l’épuisement du sol, ici dans ses entrailles, là-bas à sa surface. La culture de la vigne au contraire peut être éternelle, parce qu’elle n’est pas épuisante.