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un effectif de 15,175 navires. Dans ce nombre, 63 seulement ont un tonnage (tonnage officiel toujours plus faible que la capacité réelle) supérieur à 700 tonneaux; c’est ce que l’on pourrait appeler la grande exploitation. La moyenne exploitation, comprenant les navires d’une capacité variable de 600 à 300 tonneaux, compte 746 bâtimens. Après ces deux classes de navires, qui sont généralement des trois-mâts, arrive la flottille nombreuse des bricks, goélettes, chasse-marée, sloops, cotres, lougres, chaloupes et gabares, en tout 2,328 bâtimens de 300 à 100 tonneaux, et 12,038 d’un tonnage inférieur à 100. Cette bande nombreuse de petites voiles se renforce de 7,286 bateaux de pêche. Tel est l’état de la petite exploitation dans la marine, je pourrais même dire de la petite propriété, car si les bâtimens des deux premières classes appartiennent en général à des armateurs, et prennent leur équipage à gages, à peu près aux mêmes conditions de solde que la flotte, ceux de la dernière sont le plus souvent la propriété en tout ou du moins en partie du patron, et les quatre ou cinq hommes qui forment l’équipage participent fréquemment aux bénéfices grands ou petits du navire, comme ils en partagent les périls. C’est une sorte de métayage. Cette petite propriété est constituée par les épargnes de la population maritime. Le matelot aspire à la possession du flottant abri qui le reçoit avec autant d’ardeur que le cultivateur convoite le champ de son dur labeur. L’un et l’autre établissent ainsi une distinction bien tranchée entre eux et l’artisan des villes, plus rarement disposé à consacrer à son industrie la part du salaire qu’il peut économiser. Beaucoup de ces petits navires sont le patrimoine indivis d’une même famille.

Sur terre comme sur mer, la petite exploitation est chez nous la loi commune : nous devons nous en féliciter. Certes, la petite exploitation est inférieure à la grande par certains côtés : elle est ex- posée à manquer de capitaux et d’une direction intelligente; mais elle a bien son mérite, sa supériorité même. Si elle n’atteint pas toujours le maximum des bénéfices réalisables, elle est plus économe, plus modeste : elle se contente d’un faible salaire; elle végète souvent, mais du moins elle vit là où une grande entreprise se ruinerait. Il faut donc que la petite propriété et la petite exploitation continuent à se développer dans la marine comme dans la culture; elles y entretiendront beaucoup d’hommes libres, susceptibles de se diriger eux-mêmes, et surtout capables de plus de travail et de moralité. L’argent circulera peut-être moins dans la nation, mais elle sera tranquille et forte.

Il existe donc en France plus d’un lien sympathique entre l’agriculture et la marine. L’intérêt ne les unit pas moins étroitement. L’abondante production de l’une fera le profit de l’autre, toutes