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gers et les ennuis de la route, et colore d’une teinte rose les pays qu’il a visités. A cet égard, Mme Pfeiffer ne laisse rien à désirer; elle est généralement optimiste, même en matière de Dayaks, et sa première pensée en arrivant à Sintang est de trouver trop court le temps qu’elle a mis à traverser le territoire de ces coupeurs de têtes; elle se désole presque de rentrer dans une région plus calme. Sintang est une capitale, il y a un sultan malais, une réception nous attend à la cour, et nous voici condamnés au protocole d’une cérémonie officielle, assez curieuse du reste pour être racontée.

Mme Pfeiffer n’avait eu garde de se présenter sur le territoire de Sintang sans être munie d’une lettre d’introduction : elle avait dans son modeste bagage une missive que le rajah de Beng-Kallang-Boenot lui avait remise pour le sultan, et qui, dans la circonstance, était beaucoup plus utile sans doute que le certificat dont le vénérable M. de Humboldt l’avait honorée avant son départ pour la recommander aux amis de la science dans les deux mondes. A peine donc le canot dans lequel elle avait accompli les dernières étapes était-il amarré en vue de la capitale, qu’elle envoya son domestique avec la lettre à la cabane du sultan. Peu de temps après, son messager revint accompagné de l’un des ministres, qui déclara que le sultan était absent, et que la réception était remise au lendemain matin. Le lendemain en effet, une belle barque, armée de vingt rameurs, déposa Mme Pfeiffer et son domestique sur le sol de Sintang. La musique malaise joua l’air national, le canon retentit, et l’Européenne fut conduite solennellement, sur un plancher de nattes, à la demeure royale, peu distante du rivage. Le sultan, averti, daigna accourir à la rencontre de la visiteuse. « On voyait, dit Mme Pfeiffer, l’embarras de l’excellent homme, qui ne savait comment se conduire vis-à-vis d’une Européenne. Avec une grâce vraiment comique, il me tendit le bout des doigts, ce qui ne laissait pas d’être une grande hardiesse suivant les idées mahométanes. Je posai le bout de mes doigts sur les siens, et en nous balançant, presque en dansant, nous nous rendîmes au divan, séparé du vestibule par une balustrade en bois haute de deux pieds. » Le sultan et Mme Pfeiffer s’assirent l’un sur une chaise, l’autre sur une caisse renversée en guise de siège; les ministres et la cour se rangèrent par terre le long des murs; la foule se pressait au dehors. L’audience fut ouverte par la lecture solennelle de la lettre d’introduction; le premier ministre, un savant, se chargea de ce soin; puis vinrent les rafraîchissemens, du thé sans sucre, des friandises et des fruits. Le dialogue ne devait être ni vif ni animé, les deux principaux personnages ne pouvant s’entendre que par le langage des signes. Après le repas, le sultan conduisit Mme Pfeiffer dans la chambre des femmes, et lui