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POESIE

A CEUX QUI PLEURENT



I. — MIRAGE.


Du haut des cieux voilés, vierge et blanche, la neige
Tombe et sur les chemins s’étend comme un tapis:
Les corbeaux, de l’hiver noir et bruyant cortège,
Planent en gémissant sur les bois assoupis.

Au fond des corridors la bise crie et pleure.
Comme un enfant perdu qui cherche sa maison.
Assis près de la vitre et seul dans sa demeure,
L’amoureux a les yeux fixés vers l’horizon.

Le vent siffle au dehors, la neige tourbillonne
Et frappe à la fenêtre avec un bruit léger;
Le froid bleuit sa joue, et tout son corps frissonne;
Mais il reste insensible et se met à songer.

Et dans son rêve il voit les herbes mûrissantes
Au soleil de midi scintiller dans les prés :
Le sol craque et se fend, sur les pierres brûlantes
Couleuvres et lézards chauffent leurs des marbrés.

Comme un dragon d’argent qui fait luire sa croupe.
L’eau sous les nénuphars serpente tout en feu.
Et la route poudroie, et l’horizon découpe
Ses limpides contours sur le ciel calme et bleu.