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A ses regards surpris : — Bienheureux ceux qui pleurent!
Lui qui ne songeait plus déjà qu’à ceux qui meurent,
Lui dont le sein. n’était gonflé que de sanglots,
Se pencha vers le livre et lut les divins mots.
N’étaient-ce que des mots, et la page jaunie
N’enfermait-elle, hélas! qu’une amère ironie?
Tandis qu’il agitait la sombre question,
Il vit, — réalité, mirage ou vision, —
Les murs de son réduit s’ouvrir comme deux voiles
Et le ciel bleu, profond et fourmillant d’étoiles,
Devant ses yeux ravis s’étendre à l’infini.
Les astres palpitaient, leur sourire béni
Glissait légèrement sur la terre endormie
Comme un dernier baiser qu’au front de son amie
A l’heure des adieux l’amant dépose encor.
Il entendit au loin l’harmonieux accord
D’une musique ailée, étrange et pénétrante :
On eût dit les sanglots d’une onde jaillissante.
Le bruit des pleurs tombant dans un lac de cristal.
Un murmure limpide, argentin, idéal...
Alors il vit dans l’air monter la foule immense
Des martyrs éprouvés par l’humaine souffrance :
Tous ceux dont l’amour jeune est mort avant le temps,
Les mères conduisant le deuil de leurs enfans.
Les amans oubliés, les pâles fiancées,
Les rêveurs succombant sous le poids des pensées ;
— Aux premiers jours d’hiver, ainsi les bataillons
Des oiseaux voyageurs passent en tourbillons. —
Leurs corps meurtris saignaient, les gouttes empourprées
Pleuvaient et ruisselaient dans les mers azurées;
Mais ils montaient toujours,... et d’invisibles voix
Résonnaient doucement, comme dans les grands bois
Les chênes qu’en passant les vents d’automne effleurent.
Et ces voix répétaient : — Bienheureux ceux qui pleurent!

V.


Et puis tout disparut, le son s’évanouit,
Il se retrouva seul, dans le calme et la nuit;
Ébloui, frissonnant, il sortit de sa chambre
Et s’enfuit dans les champs. Les brumes de novembre
Avaient blanchi les noirs rameaux des châtaigniers,
Le givre frémissait et craquait sous les pieds;