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désarmer elle-même, et comme elle ne pouvait obtenir le désarmement du Piémont que par le concours des quatre puissances, elle espérait y trouver encore la garantie morale que le congrès, en s’assemblant, mettrait l’éventualité de la guerre hors de question. Ce n’est pas tout : il faut reconnaître qu’en acceptant les quatre bases sur lesquelles le cabinet de Londres a d’avance établi les délibérations du congrès, l’Autriche a fait à l’Europe, sur la question italienne, des concessions qu’elle est, à son point de vue, autorisée à considérer comme très importantes. Les quatre bases anglaises sont sans doute la formule des élémens de négociation que lord Cowley avait obtenus à Vienne ; elles comprennent une nouvelle et solennelle reconnaissance de îa souveraineté des états italiens, leur neutralité garantie, leur indépendance mise à l’abri de toute protection ou ingérence exclusive de la part des puissances garantes, — et, comme conséquence, la révision des traités particulière de l’Autriche avec ces états, l’examen et l’abolition possible du droit de garnison attribué à l’Autriche dans les places de Ferrare, Gomacchio et Plaisance, enfin l’encouragement donné aux princes italiens d’accomplir les réformes nécessaires dans leur gouvernement et dans leur administration. Si l’on réfléchit que ces bases de délibération répondent à peu près à toutes celles des réclamations mises en avant par le Piémont qui peuvent se concilier avec les traités, l’on conviendra qu’en y souscrivant, et par le fait même de son adhésion au congrès, l’Autriche se montre disposée à faire •des concessions réelles et des sacrifices positifs : elle donne quelque chose, et ce quelque chose doit à ses yeux être beaucoup. A ses yeux aussi par conséquent, le prix de ce qu’elle est disposée à céder doit être la certitude de la paix. Si, après et malgré des concessions qui lui coûtent tant, elle pouvait se trouver encore en face d’une guerre inévitable, il est naturel que la guerre immédiate, avant toute concession, lui parût préférable à une telle perspective survivant aux concessions accomplies.

Nous redoutons peu de nous tromper en traduisant de la sorte les motifs qui avaient inspiré à l’Autriche la demande du désarmement du Piémont. La formule était mauvaise, mais les raisons, quoique mal exprimées, étaient bonnes. Ces raisons pouvaient être avouées par les opinions amies de la paix. Tous ces grands intérêts que font si gravement souffrir, dans l’Europe entière, les périlleuses incertitudes qui tiennent les affaires en suspens depuis trois mois, ces intérêts de commerce et d’industrie au nom desquels lord Palmerston, à la fin de février, demandait une solution prompte, souhaitent également ces deux choses : et que le congrès ne soit point un amusement dilatoire, et que le caractère sérieux du congrès soit défini d’avance par quelque grande mesure décisive pour la paix. Les puissances qui s’efforcent de prévenir la guerre doivent avoir le même souci. Nous ne parlons pas de la Russie, qui peut être soupçonnée de mêler aujourd’hui un aigre levain de rancunes à sa politique narquoise ; mais l’Angleterre et la Prusse, l’Angleterre surtout, dont le gouvernement a épousé l’intérêt sacré de la paix avec une si noble sollicitude, devaient reconnaître que si l’Autriche se trompait dans la forme, on pouvait tirer un grand parti des raisons dont s’était inspirée la proposition autrichienne. Il y avait un mot précieux dans cette proposition : le désarmement. Pour la rendre excellente, il suffisait d’en re-