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c’est qu’en agissant avec l’alliance russe soit en Orient, soit sur la confédération germanique, nous travaillons nécessairement contre nos intérêts, et au profit des intérêts de la Russie. En Orient, la pente de cette politique n’est que trop visible : elle accélère la dissolution de l’empire ottoman, et y prépare un nouveau rôle aux ingérences russes, soit que l’anarchie des races appelle un jour une intervention, soit que la Porte elle-même, poussée à bout, se replace sous le joug que nous lui avions fait secouer en 1853. En Allemagne, le résultat inévitable est analogue. C’est du côté de l’Allemagne qu’est pour la France le danger continental. S’il arrivait que la France eût à soutenir une lutte contre la confédération, à quoi nous servirait la Russie ? En aucun cas, toute son histoire et toutes les lois naturelles de son développement politique sont là pour nous en instruire, la Russie ne prendra parti pour nous contre l’Allemagne, car c’est par l’Allemagne et par la protection qu’elle a donnée à ses états secondaires, par la médiation qu’elle a toujours exercée entre la Prusse et l’Autriche, que la Russie a conquis la grande influence qui lui appartient depuis 1815 dans les affaires d’Europe. Si la France s’engageait dans une lutte contre l’Allemagne, elle travaillerait donc encore au profit de la Russie, puisqu’elle pousserait la confédération dans ses bras. Se partager entre l’alliance anglaise et l’intimité russe n’est guère aisé, subordonner la première à la seconde serait s’exposer à d’extrêmes périls sans compensation. Il nous paraît naturel qu’une alliance franco-russe ait en Russie des partisans chaleureux, car elle fait à tous les points de vue les affaires des Russes, et leur restitue, — on commence à s’en apercevoir, — le grand rôle que la guerre d’Orient semblait leur avoir enlevé. Le représentant le plus éminent de cette politique est le prince Gortchakof. La fortune qu’il lui doit est un symbole assez exact des avantages qu’elle procure à son pays. Il y rêvait déjà dans la petite cour allemande où il était accrédité au moment où allait commencer la guerre d’Orient, et nous avons eu l’occasion de mentionner dans la Revue les curieuses ouvertures qu’il fit à cette époque au ministre de France à Stuttgart pour nous détacher de l’alliance anglaise. Cette politique, qu’il a eu le mérite de faire réussir en partie, a fini par le conduire au ministère des affaires étrangères. Nous serions enchantés du succès personnel de cet homme d’esprit, si la France n’était point exposée à payer trop cher un jour les illusions de l’alliance russe, et c’est pour prévenir les conséquences d’une telle erreur que nous verrions avec joie le gouvernement français se mettre d’accord avec l’Angleterre sur la question du désarmement général et profiter de cette combinaison pour asseoir les bases d’une entente complète des deux peuples dans les affaires d’Italie.

De grandes questions intérieures devraient en ce moment alimenter les discussions publiques, s’il était possible de se soustraire aux absorbantes préoccupations de la politique étrangèi-e. Le corps législatif ne tardera pas sans doute à sanctionner les conventions qui furent conclues à la fin de l’été dernier entre M. le ministre des travaux publics et les compagnies de chemins de fer. La sécurité des grands intérêts engagés dans l’industrie des chemins de fer dépend de ces conventions, car, comme nous l’avons expliqué dans le temps, elles fixent dans des conditions équitables l’avenir finan-