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exemples qui les rattachaient à la vie intellectuelle du clergé d’autrefois ; ils conservent ces souvenirs et continuent ces exemples. Sans demeurer étrangers à leur temps, très attentifs au contraire à tous les symptômes qui se produisent et mieux préparés que la plupart de leurs confrères à juger les nouveautés de la théologie, ils vivent avec Bossuet et Fénelon, avec Nicole et Arnauld. Au-dessous de ces grands maîtres, combien de personnages dont les œuvres sont inconnues aujourd’hui, dont le nom même éveille à peine un souvenir! Ouvrez la Bibliothèque des Auteurs ecclésiastiques, terminée au commencement du XVIIIe siècle par le docte Ellies Dupin, vous serez frappé de voir dans cette glorieuse assemblée, que domine le nom de Bossuet, le second et le troisième rang encore si noblement occupés, tant d’intelligences dévouées au vrai, tant d’esprits ingénieux, savans, profonds, un Thomassin, un Duhamel, un Adrien Baillet, un Godefroy Hermant, bien d’autres encore, sans parler des maîtres de l’érudition, les Launoy et les Ducange, les Mabillon et les Ruinart, sans parler non plus de ces pénétrans moralistes, Singliz, Duguet, Hamon, Sacy, qu’Ellies Dupin désigne sous le nom de moines de Saint-Cyran, et que la postérité appelle avec respect les pieux solitaires de Port-Royal. Eh bien! les gardiens de la grande tradition, tels que la province en conserve, sont chez eux pour ainsi dire au milieu de tous ces personnages; ils ont conversé familièrement avec ces maîtres vénérables; ils connaissent le rôle de chacun d’entre eux, les nuances qui les distinguent, les services qu’ils ont rendus, les erreurs de détail qu’ils ont pu commettre. Aussi quel charme on éprouve et quelles lumières on recueille en écoutant de tels hommes ! Simple, sans dogmatisme ambitieux, leur conversation est pleine de trésors. Dès qu’on les approche, on se sent pénétré de respect; derrière eux, tout un monde vous apparaît : vous voici introduits au milieu des érudits et des penseurs de l’église de France du XVIIe siècle, vous entendez parler les jurisconsultes chrétiens et les théologiens spiritualistes.

Nous avons connu plusieurs de ces hommes en Bretagne, en Anjou, dans la Provence, dans le Languedoc; le plus remarquable de tous (nous parlons de ceux qu’il nous a été donné de rencontrer), celui qu’il faut interroger comme le représentant le plus fidèle d’une école peu nombreuse et abandonnée de jour en jour, c’est M. l’abbé Flottes, à la fois excellent philosophe et théologien consommé, intelligence précise et pénétrante, nourri de la substance même de l’église du grand siècle, et qui occupera une place très intéressante dans l’histoire de l’église du XIXe siècle, si cette histoire est étudiée un jour comme elle doit l’être. Il y a trente-six ans, lorsque Lamennais publia le premier volume de l’Essai sur l’Indifférence en matière de religion, et que la majorité du clergé catholique en accueillit les doctrines avec des transports d’enthousiasme, M. l’abbé Flottes fut un des premiers à signaler le scepticisme funeste que renferment ces pages éloquentes. Pendant plus de quarante ans, il a honoré l’université par son enseignement et ses écrits; descendu aujourd’hui de sa chaire, il continue avec sa plume toute seule ce qu’il faisait si bien autrefois par la plume et par la parole. Maintenir les principes de l’église spiritualiste du XVIIe siècle, poursuivre, comme les Régis et les Duhamel, l’alliance de la raison et de la foi, telle