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demander. Avant tout, il faut être soi. La critique a été renouvelée par l’analyse des détails et le vivant coloris des portraits ; M. l’abbé Flottes est de l’école française du XVIIe siècle.

N’appréciez-vous pas surtout cette constance d’une pensée religieusement suivie et que ne découragent ni l’inattention de la foule ni le triomphe apparent des doctrines contraires? Le grand mérite des écrits de M. l’abbé Flottes, c’est l’inspiration secrète qui les a dictés. Fils dévoué de l’église, il a toujours compris un des premiers, avec la sagacité de l’intelligence et la sollicitude du cœur, les dangers qu’on lui faisait courir. Quand il interroge les théologiens et les philosophes du XVIIe siècle, quand il feuillette la Bibliothèque universelle ou les Nouvelles de la République des Lettres, ce n’est pas seulement, croyez-le-bien, le siècle de Huet et de Pascal qui l’occupe; ses pieuses méditations sont tournées aussi vers les choses présentes. Sous ces recherches d’une érudition si précise, il y a une prédication cachée et très intelligible toutefois, prédication sans bruit, sans scandale, aussi modeste que courageuse, adressée aux théologiens de son temps. Il leur dit : «Défiez-vous! Des novateurs aventureux vous ont proposé d’abattre la raison de l’homme pour la précipiter plus sûrement dans la foi; abattre la raison, c’est détruire la base du christianisme. Défiez-vous surtout si l’on vous dit que l’église de France au XVIIe siècle a déjà vu se produire ce système ; l’église de Pascal et de Bossuet, de Fénelon et de Malebranche, est une église forte, saine, qui respecte la raison comme elle soutient la foi. Huet lui-même, ce bel-esprit paradoxal, n’a pas méconnu les droits de la pensée humaine et les règles de la certitude. Le scepticisme qu’on vous conseille aujourd’hui, que plusieurs d’entre vous ont adopté, qui se répand déjà dans vos écrits et inquiète notre époque, est le fruit d’un caprice funeste ou d’une pusillanimité coupable. Le spiritualisme est le seul allié naturel de la religion de l’Évangile. » Voilà, ce me semble, la signification des écrits de M. l’abbé Flottes. En le traduisant tout haut, ce discours prononcé à voix basse, j’ai pu trop accentuer certaines paroles; je suis bien sûr au moins de ne pas avoir fait de contre-sens.

Cette prédication n’était que trop commandée par l’état des écoles théologiques, et peut-être n’a-t-elle pas été inutile. Il est certain que depuis quelques années des symptômes heureux se sont produits çà et là dans la littérature religieuse. Si le lamennaisisme a encore de nombreux représentans, soit dans le clergé, soit parmi les hommes qui sont regardés comme les défenseurs officiels de l’église, plus d’une voix cependant s’est élevée pour venger la raison de l’homme. Les doctrines qui veulent anéantir la raison ont été vigoureusement réfutées et flétries. On est revenu à la théologie du XVIIe siècle, on a vu que, par ses mille nuances, par ses variétés mêmes et ses luttes intestines, cette théologie attestait un mâle exercice de la pensée, qu’elle devait beaucoup à Descartes et à ses disciples, tandis que le scepticisme clérical est aussi funeste à la religion qu’à la science. Des théologiens enfin ont compris que la religion du Christ ne doit pas être un instrument de mort pour l’intelligence, et qu’il est moins beau pour elle de régner sur des troupeaux d’aveugles que de gouverner des âmes libres. Je citerai au premier rang l’éminent doyen de la faculté de théologie de Paris, M. l’abbé