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représentative en Italie, il recommande au moins l’industrie et le commerce, et sa parole s’animant en ce grave sujet :


« Élevons, dit-il, élevons notre âme, élargissons nos idées, et, affranchis de vaines et petites craintes, considérons en liberté d’esprit les conditions et les probabilités du progrès actuel. Ce progrès sort évidemment d’une tempête grossie par d’anciens vices et de vieilles erreurs, restes de la civilisation antique, apportés par la barbarie et demeurés dans la féodalité, développés dans la corruption des gouvernans et dans la colère vengeresse des asservis. Mais cette tempête se calme, et il n’en reste que des agitations décroissantes. Le progrès chrétien, interrompu une fois encore, recommence et continue... Une égalité religieuse fait disparaître les castes. Les partis se mêlent, se confondent... Le genre humain, ranimé par une sorte de jeunesse nouvelle, présente le plus certain des symptômes de santé : il devient laborieux. Il en est qui dédaignent cette activité, inspirée par ce qu’on appelle avec mépris des intérêts matériels... Sachons rejeter cette nouvelle pierre de scandale, ce mur de séparation que voudraient élever ceux qui s’effraient de n’en plus voir entre eux et le monde. Il n’est pas vrai que les intérêts matériels soient contraires aux intérêts intellectuels ou aux spirituels. Qui donc a conduit les intérêts spirituels aux Indes et en Amérique, si ce n’est l’intérêt matériel du commerce et de la conquête? Et quand ce dernier intérêt ouvre aujourd’hui au christianisme les chemins intérieurs, les fleuves, les montagnes, les déserts de tous les continens, comment ne pas attendre d’une cause semblable de semblables effets?... On se plaît à croire qu’il y a de l’humilité à pratiquer la médiocrité scientifique et matérielle; mais qui sont ceux qui méritent le reproche d’orgueil, si ce n’est ceux qui rejettent les dons de la Providence, proscrivent tout ce qu’ils ne possèdent pas, et réduisent à leur personnalité l’idéal de ce monde? Mais le genre humain marche sans eux... Non-seulement il y a expansion extérieure, mais le commerce intérieur s’accroît. La chrétienté devient comme une seule nation. Les petits états font des lignes douanières; les grands états diminuent ou suppriment ces péages de frontières qui protègent les industries privées aux dépens de l’industrie générale, et la production de quelques-uns aux dépens de la production d’un grand nombre et de la consommation de tous; la science économique tend à favoriser la distribution des diverses spécialités productrices aux populations les mieux disposées à les adopter, et à préparer ces populations à des échanges faciles. La chrétienté enfin rompt, depuis le siècle dernier, les derniers liens de la féodalité, que nous allons voir disparaître[1]. »

  1. César Balbo ne se bornait pas à annoncer sous cette forme quelque peu lyrique la transformation du globe par l’industrie; il étudiait aussi les conditions spéciales où se trouve la péninsule relativement à cette transformation. L’Osservatore Triestino du 25 janvier 1846, en rendant compte d’un livre du comte Petitti sur les chemins de fer italiens, se montrait jaloux de l’extension prise en Piémont et en France par ce système de communications. « Que ces deux pays, disait-il, construisent des chemins de fer tant qu’il leur plaira; ils pourront participer au commerce général, mais sans détruire la prépondérance de l’Autriche, que personne ne peut empêcher d’être la plus proche de l’Orient. » Le même journal, organe des intérêts autrichiens dans l’Adriatique, prétendait que le Pô et la mer étaient des voies de communication suffisantes pour l’Italie du nord, et combattait les plans proposés par le comte Petitti, qui voulait une ligne d’Ancône à Pesaro, Forli, Bologne, Parme, Plaisance, etc. — Le comte Balbo écrivit là-dessus des lettres remarquables au comte Petitti. Il fit ressortir la naïveté de cet aveu de l’Autriche, qui trahissait sa propre cause en indiquant par ses craintes mêmes précisément le système de routes qui peut faire anéantir cette prépondérance. « La France, dit-il, peut faire aboutir en Italie des voies importantes ; l’Italie peut les continuer chez elle. Cela fait, les pyroscaphes de Trieste en seront pour leurs prétentions, et l’on pourra se passer d’eux. »