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curiosité publique. L’histoire la moins vraisemblable et la plus merveilleuse est ordinairement la meilleure. Il y a quelques années, on montrait avec grand succès dans les villes d’Angleterre deux enfans qu’on disait avoir été tirés des mystérieuses cités du centre de l’Amérique, où ils avaient été adorés comme idoles. C’étaient, prétendait-on, les descendans dégénérés des anciens birdmen conservés dans les temples d’Iximay. Les deux enfans étaient sourds-muets, et l’on donnait ce silence comme une preuve de leur caractère sacré : il ne leur avait jamais été permis d’entendre la voix humaine. Une sorte de roman illustré de gravures sur bois racontait même les dangers qu’on avait courus en les enlevant du temple : je dis roman, car tout cela était faux. Les deux enfans avaient bien été trouvés en Amérique, mais dans une tente de showman, où ils figuraient de compagnie avec un cochon de très haute taille. Les prétendus dieux étaient deux pauvres êtres plus ou moins acéphales, c’est-à-dire idiots.

Une autre source de succès consiste à émouvoir les sentimens généreux de la nation. On connaît l’horreur que les Anglais professent pour l’esclavage des noirs et combien il est aisé de faire vibrer chez eux sur ce point les cordes délicates de la pitié. La ville d’Edimbourg reçut un jour la visite d’un showman accompagné de deux jeunes négresses que la nature avait unies entre elles par des liens aussi indissolubles que ceux des jumeaux siamois. Un récit imprimé et distribué gratis exposait les aventures de Christina et de Milley Makoy (c’était le nom des deux sœurs), leurs infortunes, leur pénible traversée et le triste sort de leurs parens. Le prix d’admission était fixé à 2 shillings pendant le jour, à 1 shilling dans la soirée. Le fruit de cette exhibition toute sentimentale était destiné, ajoutait-on, à racheter de l’esclavage le père et la mère des deux jumelles. A cet avis, comme à l’histoire touchante des deux négresses, il ne manquait que la vérité. Les deux pauvres filles étaient exhibées par leur maître, un propriétaire de noirs, qui les avait amenées comme objet de commerce sur une terre de liberté, et qui, trouvant que la spéculation ne marchait pas assez vite, les remmena esclaves dans le Nouveau-Monde.

A la vie d’un aristocratique showman écrite par M. Barnum, et qui a fait tant de bruit en Angleterre[1], M. Miller a opposé la vie d’un showman vulgaire[2]. Le contraste est trop frappant pour que je ne le signale pas. M. Miller était clerc d’avocat à Londres et plus tard employé dans un mercantile agency office. Il fit un jour la ren-

  1. Life of P. T. Barnum the Yankee Showman and prince of Humbug written by himself.
  2. Life of a Showman of David Prince Miller.