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sortit; mais une des personnes présentes avait reconnu Richardson le showman, et son nom figura sur la liste des donateurs. Malgré son bon cœur, il mourut riche. On nous assure qu’il laissa 50,000 liv. sterling à ses héritiers.

Une autre illustration foraine de l’Angleterre, c’est Wombwell. Il avait commencé par montrer à Londres deux boas constrictors; plus tard il acheta quelques animaux, avec lesquels il voyagea à la tête d’une petite caravane; enfin, le succès aidant, il acquit le musée zoologique le plus étendu et le plus précieux, — je parle des musées errans, — qui existât en Europe. Wombwell était de plus un artiste vétérinaire très habile. Il fut appelé par le prince Albert pour guérir une meute de chiens attaquée d’une maladie qui avait résisté à tous les efforts de la science, et découvrit la cause du mal, qui consistait dans la mauvaise qualité des eaux. Le prince, charmé, lui demanda ce qu’il attendait pour prix de ses services : « Rien, reprit le vieux Wombwell, je ne manque d’aucune chose dans le monde. » Comme pourtant le prince insistait, Wombwell dit que si son altesse royale tenait à lui faire un cadeau, il accepterait volontiers un cercueil construit avec les planches d’un vaisseau qui venait alors de faire naufrage et dont on avait retrouvé les débris, le Royal-George. Sa demande fut accueillie, et ce singulier meuble de chêne figura quelque temps dans la maison du showman. Hélas! c’est dans le même cercueil que Wombwell (l’homme aux bêtes sauvages, wild beast man) repose aujourd’hui à Kensal-Green[1].

Le caractère de l’exhibiteur forain présente des traits singuliers. Un poète anglais a comparé la vie humaine à un paysage dans lequel on rencontre alternativement des montagnes, des précipices, des collines, des vallées. De tous les horizons, celui que le showman déteste le plus, c’est la plaine. Il ne saurait supporter la monotonie d’un emploi régulier, il a horreur d’un traitement fixe; mais aussi avec quelle philosophie il traverse cette existence éventuelle, semée de succès et de revers! Il ne se plaint point quand il est sous le nuage, et il sourit au premier rayon de soleil. Il aime les hauts et les bas de la fortune. J’avoue qu’il est plus souvent en bas qu’en haut; mais il espère toujours remonter. Le sentiment indomptable de la confiance dans le lendemain l’anime, le soutient, l’encourage; il a vu si souvent, sous le climat changeant de l’Angleterre, le temps tourner de la pluie ou de la neige au ciel bleu, qu’il compte malgré

  1. Un exemple non moins frappant de la prospérité, d’ailleurs peu commune, de certains showmen errans est M. Hughes, qui traversa, il y a quelques années, les campagnes de l’Angleterre à la tête d’une procession d’éléphans, de chameaux et d’autres animaux rares. Ayant amassé une petite fortune avec son Mammoth Circus, il a établi, dit-on, une maison de banque à Liverpool.