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mais comme ce noble animal coûtait trop cher à nourrir, je l’échangeai contre un poney. Le poney étant venu à boiter, je le cédai pour un âne, qui est mort la semaine dernière. Maintenant je suis à pied, mais je compte me relever à la foire prochaine. » Il est pourtant vrai de dire que le cheval ou l’âne du showman se conforme admirablement aux mœurs frugales de son maître. Les bonnes bêtes, c’est une justice à leur rendre, se contentent le plus souvent de brouter l’herbe qui croît dans les sentiers solitaires. Quand le voyageur forain est marié, — et en général il ne trouve pas bon que l’homme soit seul, — sa vie domestique présente un contraste touchant avec les excitations d’une industrie turbulente. La femme du showman est généralement un modèle d’ordre et de propreté. Créature dévouée, elle s’est faite la juive errante du juif errant. Il faut que les qualités solides et délicates qui rendent un intérieur heureux soient bien empreintes dans le caractère de la femme anglaise pour que la vie nomade ne les ait point altérées. Tout, jusqu’au marteau de la porte, knoker, — car il y a une porte et un marteau, — reluit sous le frottement d’une main industrieuse. L’intérieur de ces homes mouvans se divise en plusieurs compartimens, on pourrait dire en plusieurs chambres. Il y a le salon, qui est orné d’un tapis et de quelques meubles; la chambre à coucher, où l’on dort non sur des lits, mais dans des hamacs; la cuisine et un atelier pour les outils. Le showman errant, dont la vie est une tempête perpétuelle, a plus besoin qu’un autre d’un nid pour reposer sa tête. Là, il trouve une table bien frugale, mais servie avec un certain goût, un feu qui brûle dans un âtre frotté à la mine de plomb, et des enfans auxquels leur mère a inculqué de bonne heure les habitudes du ménage. Sous ces toits domestiques habitent encore, avec la famille de l’exhibiteur, les phénomènes vivans qu’on exhibe, un géant, un nain, une jeune fille aux cheveux blancs, un porc savant, a learned pig[1].

Sur le champ de foire, où nous devons le suivre, le showman a souvent à lutter contre les hommes et même contre les élémens. Des nuits tempétueuses telles qu’il n’en existe peut-être qu’en Angleterre, surtout près des côtes, mettent plus d’une fois en danger les murs de toile du théâtre qu’il vient d’élever à grand’peine avec

  1. Le porc savant est une des plus anciennes, mais des plus immortelles curiosités de l’Angleterre. L’histoire a conservé le nom du fameux Toby, qui fit ses débuts en 1817 et qui florissait encore en 1833. Il s’intitulait lui-même le vrai porc savant, par allusion à un sosie qui figurait de son côté sous le titre de amaziny pig of knowledge. Une des particularités de l’éducation de ce dernier est qu’il connaissait la valeur de l’argent. Quelques graves écrivains ont même attribué à cette circonstance l’air chétif et râpé (shabby) du pauvre animal.