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charitable sur ma physionomie, car elle me dit : « Cet homme n’est pas aussi mauvais que vous le croyez. Il a une mère vieille et infirme qu’il soutient par son travail, des enfans qu’il élève avec grand soin, et qu’il chérit. Après le fatal accident, il livra des combats au bénéfice de la veuve et de la famille de la victime. Les autres fighting men le secondèrent et l’aidèrent à réparer ce qu’il y avait de réparable dans un tel désastre, car les lutteurs s’aiment et se soutiennent entre eux. » Ces quelques mots me réconcilièrent avec l’espèce humaine; je reconnus à ma honte que mes sentimens étaient en partie injustes, car dans les professions les plus basses, dans les âmes les plus obscurcies par les ténèbres de la force brutale, il y a toujours quelques traces de générosité et comme un rayon de la nature divine. C’est le green spot, le point vert, l’oasis dont parlent les moralistes anglais, et qui se rencontre jusque dans les cœurs où règnent la rudesse et la stérilité du désert.

— Toutes les professions, dit à son tour le conjuror, qui avait écouté avec attention et non sans attendrissement l’histoire de l’homme tué par Bob Travers, ont leurs infortunes. La mienne, Dieu merci, est inoffensive : je n’ai guère à me reprocher que quelques mensonges bien innocens, car personne ne croit à la parole d’un escamoteur; mais, nous autres conjuros, nous avons un ennemi inventé par la nature, c’est le sourd. A la dernière séance que j’ai donnée durant les courses de Chatam, j’étais singulièrement mortifié par la présence d’un vieux gentleman qui découvrait le fil de tous mes tours et qui riait d’un air malicieux. Comme la science d’un professeur de legerdemain (prestidigitation) consiste surtout à détourner l’attention de l’auditoire par les remarques qu’il fait, et comme ce vieillard, — je le reconnus tout de suite, — n’entendait point mes paroles, il mettait toute mon habileté en défaut. Notre grand art est de tromper les yeux en occupant et en distrayant l’esprit; l’adresse des doigts s’acquiert, mais l’autre faculté ne s’acquiert point. C’est un don du ciel, a heavenly gift.

Le showman, l’acrobate, le professeur de legerdemain et le pugiliste se retirèrent, car l’heure était déjà avancée dans la nuit. Le stage-manager profita de leur départ pour célébrer la vie d’acteur. A l’entendre, le strolling player était comme le lis des champs, qui ne file ni ne travaille, mais qui est mieux vêtu que Salomon dans toute sa gloire. L’existence se déroulait devant lui comme un continuel voyage, une scène pleine de changemens à vue, un fleuve dont les rivages se succèdent sans monotonie et avec des perspectives enchantées. Cette peinture, beaucoup trop flatteuse, excita des rires d’incrédulité. Pour imposer silence aux démentis, il fit l’éloge de sa troupe, laquelle, disait-il, était la meilleure qui courût les campagnes de l’Angleterre. Il avoua que quelques-uns des sujets ne