Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/156

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette année de me jeter dans ses bras et d’implorer l’absolution de ma faute. Hélas! je découvris en arrivant qu’elle était morte depuis sept mois. Vous savez maintenant pourquoi vous m’avez rencontrée dans le cimetière. C’était plus qu’un tribut de regret que je payais ce soir-là à celle qui avait été bonne pour moi, c’était une larme que je versais sur ma vie et un pardon que je demandais à la tombe. »

À ce moment, l’hôtelier entra avec un groupe de chandeliers et de chandelles allumées dans les bras. Il annonça qu’il y avait trois bonnes chambres vacantes, plus une grande salle avec des lits. Le clown s’écria : « Le pas aux dames ! » Il voulait dire que les bonnes chambres appartenaient de droit aux actrices[1]. Les hommes se rendirent en conséquence dans une espèce de grenier où il y avait une douzaine de lits avec des draps de calicot grossier, mais blanc. Je dormis peu pour mon compte : toutes les splendeurs d’une nuit d’été entraient par la fenêtre, dont les vitres étaient cassées et versaient comme une sorte de consolation sur les souvenirs généralement pénibles que m’avait laissés la soirée. Je rêvais donc les yeux ouverts, quand une apparition singulière se dessina avec un léger bruit dans le clair-obscur de la chambre; c’était un jeune garçon d’une douzaine d’années qui arpentait le plancher de la salle en marchant sur ses mains et en tenant les jambes élevées en l’air. Après avoir fait ainsi deux ou trois fois le tour d’un cercle très régulier, il se recoucha paisiblement. Ce garçon était le fils de l’acrobate, et je sus le lendemain qu’il était sujet à des accès de somnambulisme. Une vieille horloge de bois, armée d’un alarm-watch (réveil-matin), carillonna de bonne heure, — et je lui en sus gré, — le moment du lever, car les acteurs avaient annoncé l’intention de se remettre en route avant la chaleur du jour. Au déjeuner, qui consista en une tasse de thé et un morceau de pain, le stage-manager me fit des propositions directes; elles étaient brillantes: durant le premier mois, mes gages devaient s’élever à zéro (car il faut que tout le monde fasse son apprentissage) ; mais ensuite je devais participer à la recette dans la mesure de mes talens et de mes forces. A la grande surprise et, si je ne craignais de manquer aux lois de la modestie, je dirais au grand déplaisir du stage-manager, qui tenait beaucoup à la comédie du Français dans l’embarras (the Frenchman in trouble), je déclinai cet engagement.

Il me reste à rechercher, — et ce sera la conclusion naturelle de cette étude, — quelle peut être la mission sociale[2] des street

  1. L’une de ces actrices, jeune femme blonde, avait été marchande d’oranges à Londres; ses moyens dramatiques s’étaient révélés un soir qu’elle avait été à Garrick-Theatre.
  2. Cette alliance de mots semblera peut-être bien ambitieuse; mais elle n’est pas de moi : je l’emprunte à un journal anglais.