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ruption du travail. Des questions scientifiques relatives à la canne, on est ainsi conduit aux questions agricoles et industrielles.


II.

La culture de la canne est soumise à des difficultés particulières. En dehors des intempéries des saisons, contre lesquelles il y a peu de chose à faire, des ouragans et des incendies fortuits, dont on pourrait sans doute atténuer les dommages locaux par un système d’assurances générales, on est exposé dans les habitations aux dangers des incendies allumés par la malveillance, dangers moindres sans doute depuis l’affranchissement des nègres, mais qui exigent les précautions d’une surveillance bien organisée et que l’on parvient à limiter en isolant par des intervalles libres les champs de cannes d’une grande étendue. Au nombre des causes de pertes assez graves, il faut aussi compter les ravages occasionnés par les rats, qui pullulent en beaucoup de lieux, et contre lesquels les procédés usuels d’empoisonnement par le phosphore ou l’arsenic, ou la chasse à l’aide de chiens bien dressés sont encore insuffisans. Pour montrer ce que de tels ravages ont de grave quelquefois, il faut rappeler un singulier mécompte auquel donna lieu l’emploi d’un engrais riche expédié de France aux Antilles il y a déjà plusieurs années.

C’était en 1824. M. Derosne, concessionnaire du sang des abattoirs de Paris, obtenait de ce liquide desséché sur des bâtimens de graduation ou sur des claies, après une coagulation produite par la vapeur, plus d’un million de kilogrammes de sang sec, livré au port d’embarquement au prix de 20 francs et coûtant, rendu aux colonies, de 38 à 40 francs les 100 kilogrammes. Le sang sec pulvérulent déposé par petites poignées au pied de chaque touffe de cannes produisit dès la première campagne des effets remarquables. La végétation, excitée fortement et soutenue par ce puissant engrais, donna de vigoureuses pousses et des tiges volumineuses, pesantes, renfermant un jus dense, sucré en proportion ; mais à la campagne suivante le désappointement fut complet : la précieuse fumure, employée avec quelque ménagement, n’empêcha pas les champs de cannes, après avoir développé une végétation luxuriante, de montrer de toutes parts des touffes fanées même dans leurs plus jeunes feuilles, jusqu’alors verticalement dressées au faîte de chaque plante. En cherchant à découvrir la cause de ce fâcheux événement, on reconnut bientôt au pied de chaque touffe des affouissemens qui exposaient les radicelles à l’action desséchante de l’atmosphère, et devaient nécessairement arrêter le cours de la sève ascendante.