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agriculteurs anglais, quelques-uns sont parvenus à ramener graduellement le sol à sa fertilité primitive en lui restituant chaque année par le guano les principes nutritifs des plantes que les récoltes enlèvent, notamment les phosphates et les substances azotées, trop rares sur la plupart des terres en culture, et qui nulle part ne s’y rencontrent en excès. En ce moment, les sucreries progressives de la Réunion, comme celles de la Havane, se trouvent même dans des conditions meilleures que beaucoup d’exploitations coloniales anglaises, où l’application du noir animal à la décoloration des sirops est moins développée, et laisse pour résidu des engrais moins abondans que ceux dont on dispose dans les deux colonies française et espagnole.

Un résultat remarquable entre autres a été obtenu dans l’île de la Réunion par l’habile régisseur de Savanna, qui a su tirer parti de toutes les ressources offertes par les engrais commerciaux, et utiliser en même temps les résidus des usines, ainsi que les feuilles tombées ou jetées sur le sol[1]. Après avoir fait en 1852 une récolte ordinaire qui lui donna 175,000 kilogrammes de sucre, produit moyen des années précédentes, il est parvenu graduellement à augmenter ses récoltes au point de réaliser dès l’année 1854 un produit de 330,000 kilogrammes, qui s’est élevé progressivement, et qui était de 500,000 kilogrammes en 1857. On peut croire que la progression ne s’arrêtera pas là, et que l’usine arrivera, sauf les chances inévitables de l’intempérie des saisons, à produire 850,000 kilogrammes d’un sucre brut bien supérieur en qualité aux sucres anciens.

Pour soutenir et développer encore ce grand mouvement industriel, commercial et agricole, un moyen bien simple se présente : il se recommande à toute la sollicitude de nos grandes administrations publiques dans l’intérêt de la production économique des deux sucres, comme dans l’intérêt plus pressant encore de la santé des populations de nos campagnes. On sait que depuis deux ans surtout la consommation du sucre, longtemps stationnaire, a commencé à prendre un plus grand essor chez nous ; mais cet accroissement,

  1. Dans cette exploitation, les cannes à sucre fournissent trois récoltes, dont deux obtenues en rejetons, en sorte que pour la quatrième campagne on procède à une plantation nouvelle. L’économie réalisée sur le combustible à l’aide des chaudières tubulaires et appareils à triple effet permet de laisser ou d’étendre sur le sol les feuilles naguère ramassées pour le chauffage des chaudières anciennes. Ces débris foliacés, par une désagrégation spontanée, cèdent en grande partie la nourriture puisée par la plante dans le sol et l’atmosphère : ils interceptent, en formant une sorte de couverture, la radiation solaire, et peuvent arrêter l’énorme déperdition de vapeurs fécondantes qu’amenait l’action du soleil frappant à plomb sur le sol dénudé.