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ligences dans le peuple : il y était presque aussi puissant que Beaufort, et pouvait lancer à son gré sur la place publique des gens apostés pour crier tour à tour, selon les occasions : A bas le Mazarin ! et vive la paix! c’est-à-dire : à bas M. Le Prince! Celui-ci, égaré dans la fronde comme dans un monde étranger, cherchait péniblement sa route à travers toutes ces intrigues, luttant sans cesse contre lui-même, s’efforçant de retenir son humeur bouillante, et se laissant volontiers conduire aux conseils de ses amis.

La plupart étaient d’avis de sortir de cette situation incertaine et de s’accommoder honorablement et sûrement avec la cour. Condé ne s’y refusa point, et se laissa entraîner, dit La Rochefoucauld, qui y fut bien pour quelque chose, « dans un abîme de négociations dont on n’a jamais vu le fond, et qui a toujours été le salut de Mazarin et la perte de ses ennemis. » De concert avec le duc d’Orléans, Condé autorisa une démarche auprès de la reine, et chargea Chavigny de ses propositions. Comme le duc d’Orléans, poussé par Retz, faisait une condition absolue du renvoi de Mazarin, Condé se joignit à lui sur ce point, et pour lui-même il demandait seulement qu’on acquittât les promesses qu’il avait faites à ses partisans, et qui étaient à ses yeux des engagemens d’honneur. Cependant, si nous en croyons La Rochefoucauld, Chavigny songea plus à ses propres intérêts qu’aux intérêts de celui qui l’avait envoyé. Il ne devait voir que le roi et la reine, et il vit aussi Mazarin; il traita même avec lui sans insister sur cette condition que Mazarin sortît du royaume, ce qui donnait à Condé envers le duc d’Orléans une apparence de déloyauté qui le mit dans le plus grand courroux.

Les choses en étaient là, et « tout ce qu’il y a de plus raffiné et de plus sérieux dans la politique, dit encore La Rochefoucauld, étoit exposé aux yeux de M. Le Prince pour prendre un de ces deux partis, de faire la paix ou de continuer la guerre, lorsque Mme de Châtillon lui fit naître le désir de la paix par des moyens plus agréables. Elle crut qu’un si grand bien devoit être l’ouvrage de sa beauté, et, mêlant de l’ambition avec le dessein de faire une nouvelle conquête, elle voulut en même temps triompher du cœur de M. Le Prince et tirer des avantages de la négociation. »

Ailleurs, en parlant des jeunes amies de Mme de Longueville, nous avons dit un mot de la duchesse de Châtillon[1]. Il est indispensable d’y insister pour l’entière intelligence de ce qui va suivre.

Isabelle-Angélique de Montmorency était l’une des deux filles de ce brave et infortuné comte de Montmorency-Bouteville, qui, victime d’un faux point d’honneur et de sa passion effrénée pour le

  1. La Jeunesse de Madame de Longueville, chapitre II, p. 177-180.