Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 20.djvu/203

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Condé, comme une créature vulgaire toujours prête à le trahir pour le premier amant, dans le dessein manifeste et avoué de lui ôter toute influence sur son frère, de s’emparer de celui-ci, et de le faire servir à leurs vues particulières. Devant quel tribunal équitable de pareilles accusations seraient-elles admises? Nemours seul savait ce qui s’était passé entre Mme de Longueville et lui, et l’homme assez lâche pour se faire le dénonciateur d’une femme après l’avoir entourée d’hommages n’est pas fort digne d’être cru sur sa parole. D’ailleurs le duc de Nemours n’a pas parlé lui-même, c’est Mme de Châtillon, c’est La Rochefoucauld qui l’ont fait parler, et nous savons par quel motif.

Il est difficile d’imaginer une conspiration plus honteuse que celle qui s’était alors formée contre Mme de Longueville, et ce qu’il y a de plus honteux peut-être, c’est que La Rochefoucauld se vante lui-même d’avoir inventé et conduit cette machine, comme il l’appelle. Les trois conjurés étaient mus par des raisons différentes, mais également méprisables : Mme de Châtillon voulait seule gouverner Condé, et seule le représenter auprès de la cour, afin d’avoir les profits de la négociation ; Nemours voulait complaire à Mme de Châtillon, et prétendait aussi avoir sa part des grands avantages qu’on se promettait; enfin La Rochefoucauld agissait par un impitoyable esprit de vengeance et dans l’espoir d’un accommodement nécessaire à sa fortune

Mais il y avait ici un point délicat, si l’on peut parler de délicatesse en une pareille affaire : de toute la cabale, le moins mauvais était encore le duc de Nemours, plus frivole que perfide, et qui était sincèrement épris de Mme de Châtillon. Il l’aimait et il en était aimé. Le retour de M. Le Prince, avec ses prétentions bien déclarées, le faisait cruellement souffrir, et son dépit menaçait de troubler le plan si bien concerté. La belle dame elle-même ne laissait pas d’être quelquefois embarrassée entre un prince impérieux et un amant jaloux. Heureusement le futur auteur des Maximes était là. La Rochefoucauld, c’est lui-même qui nous l’apprend, se chargea d’arranger tout pour le mieux. Il ne lui fut pas très difficile d’enseigner à Mme de Châtillon à ménager à la fois Condé et Nemours, et à faire en sorte qu’elle les conservât tous les deux. Il fit comprendre à l’ombrageux duc de Nemours qu’en vérité il n’aurait pas raison de se fâcher d’une liaison inévitable, « qui ne lui devait pas être suspecte, puisqu’on voulait lui en rendre compte, et ne s’en servir que pour lui donner la principale part aux affaires. » En même temps « il porta M. Le Prince à s’engager avec Mme de Châtillon, et à lui donner en propre la terre de Merlou. » De cette façon, grâce à l’honnête entremise de La Rochefoucauld, l’accord se soutint, et la conspiration marcha doucement à son but. Condé ne se doutait de rien. On avait mis un voile