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sur ses yeux; on endormait son humeur martiale dans les plaisirs et les négociations; on le berçait de l’espoir d’une paix prochaine.


IV.

Pour donner aux nouvelles négociations qu’il entamait une base ferme et empêcher que ses vraies intentions pussent être altérées comme elles l’avaient été par Chavigny, Condé fit dresser sous ses yeux, devant Mme de Châtillon, Nemours et La Rochefoucauld, une instruction précise et détaillée qu’il chargea Gourville de porter à la cour. La Rochefoucauld nous en a conservé une copie[1]. Condé y déclare que ces propositions contiennent son dernier mot, qu’il agit sincèrement, et qu’il lui faut une réponse positive sur chacune d’elles. Il demeure fidèle à ses engagemens avec Monsieur, et il ne demande pour lui-même que l’honneur de travailler à la paix générale de concert avec le duc d’Orléans. Hors de là, il ne stipule qu’en faveur de ses amis. La liste de ces amis est un peu longue, il est vrai; mais en l’examinant avec soin, on reconnaît que tous ceux dont les noms s’y rencontrent y figurent à bon droit, et qu’on ne réclame pour eux rien d’excessif. Ainsi Condé demande pour son frère le gouvernement de Provence au lieu de celui de Champagne, des brevets de maréchaux de France pour Marsin et pour Du Dognon, le gouvernement de Bergerac pour M. de La Force, pour le président Viole la permission de traiter d’une charge de président à mortier ou de secrétaire d’état; qu’on rétablisse le duc de Rohan-Chabot dans son gouvernement d’Anjou; qu’on donne au duc de Nemours le gouvernement d’Auvergne; enfin qu’on accorde à La Rochefoucauld deux avantages d’un ordre différent : l’un pour sa vanité, à savoir le même rang et les mêmes honneurs que M. de Rouillon ; l’autre pour sa fortune, 120,000 écus, afin de traiter du gouvernement de Saintonge et d’Angoumois, ou de tout autre à son gré. On voit que La Rochefoucauld ne s’était pas maltraité. Pour Mme de Châtillon, elle ne pouvait être mentionnée dans l’acte officiel; mais, comme on le pense bien, elle n’avait pas été oubliée, et Mademoiselle nous apprend[2] qu’il était convenu que pour ses divers services elle toucherait la somme de 100,000 écus. Il n’est question de Mme de Longueville ni dans l’instruction, ni dans aucune clause patente ou secrète. Et pourtant que de sacrifices n’avait-elle point faits? Elle avait contracté des dettes énormes, elle avait vendu jusqu’à ses pierreries, et l’honneur de paraître en une façon quelconque dans un semblable traité lui eût été bien nécessaire pour la relever aux

  1. Mémoires, p. 150.
  2. Mémoires, édition d’Amsterdam, 1735, t. II, p. 129.